Il aura fallu trente ans à Steve Rothery pour parvenir à concrétiser son projet d'album en solitaire loin de Marillion (NB : il aura également fallu presque 6 mois pour que cet album soit mis à disposition du plus grand nombre par le label ayant acquis les droits de l'objet sur le tard), même si ses deux escapades avec la belle Hannah Stobart sous le nom de Wishing Tree peuvent également être considérées comme telles. Mais ici, point de mélodies pop-progressives au service d'une voix divine ; notre guitariste revient à l'essence même de son art avec un album mettant bien évidemment en valeur son instrument de prédilection tout au long de sept titres entièrement instrumentaux, largement rodés en public avant de se voir officiellement enregistrés en studio.
Et quoi de mieux pour démarrer l'exercice que de faire appel à un camarade de jeu renommé ? Dans une modestie partagée, Steve Hackett vient en effet prêter son feeling au jeu tout en toucher de Steve Rothery, pour un premier acte ('Morpheus') annonciateur d'ambiances subtiles, emplies d'une sensibilité (pour ne pas dire sensualité) rare, démontrant notamment qu'il est possible de jouer de la guitare électrique sans violence aucune dans le propos, malgré le thème plutôt déprimant évoqué par le titre de l'album (Pripyat est la ville ukrainienne désormais désertée qui abritait les ouvriers de l'usine de Tchernobyl).
Autre invité à venir partager ces moments magiques, Steven Wilson apporte sa patte sur le magnifique 'The Old Man of the Sea', pièce en trois parties où là encore, après un premier passage atmosphérique, les deux compères laissent ensuite libre cours à leur imagination pour s'insinuer, note après note, au plus profond du centre de nos émotions, touché par la grâce des mélodies, la qualité des accompagnements et le lyrisme époustouflant des deux interprètes. Et ce n'est pas 'White Pass' qui viendra contredire l'ambiance magique qui découle d'une écoute attentive, tant l'univers déroulé par Steve Rothery et ses acolytes se révèle envoûtant.
Puisque leur présence est ici évoquée, parlons effectivement des membres du groupe qui accompagnent le maestro. Loin d'être de simples faire-valoir, les 4 musiciens associés au projet (d'ailleurs, les live publiés le sont sous l'étiquette du Steve Rothery Band) participent pleinement à la réussite de cet album, et en bon maître de cérémonie, Steve Rothery leur laisse également la possibilité de pleinement s'exprimer. C'est ainsi par exemple que Riccardo Romano , claviériste de Ranestrane, combo italien auteur en 2014 d'un remarquable premier album, se voit offrir plusieurs occasions de démontrer son talent, et plus particulièrement dans le final du remarquable 'Summer's End'. Celui-ci précède un dernier titre éponyme qui s'avère un tantinet plus rugueux que ses prédécesseurs, mais toujours avec cette volonté de privilégier la mélodie avant toute chose.
Bien loin des exercices de styles (souvent rébarbatifs) produits par moult guitar-heroes ou supposés tels, ce premier album solo de Steve Rothery met, si besoin en était, en pleine lumière le talent incomparable d'un artiste bien trop discret, fournissant la preuve éclatante de son influence majeure au sein de son groupe de prédilection. Cet album se déguste avec gourmandise de la première à la dernière seconde, apportant bonheur auditif et sérénité. Un grand moment.