Après ‘The Royal Scam’ au fort succès public (N°15 des charts U.S.) ayant ouvert une voie plus jazzy, Steely Dan persiste et signe avec la publication de ‘AJA’. Toujours produit par le toujours fidèle Gary Katz, Steely Dan (Walter Becker et Donald Fagen, dictateurs de poche du groupe et uniques membres) nous offrent un disque classieux, luxueux qui remportera le Grammy Award en 1977 et sera intensément critiqué par la vague punk. Recrutant les meilleurs des meilleurs, dont certains habitués (Denny Dias, pour la dernière fois participant au groupe, Larry Carlton, Steve Gadd, Rick Marotta, Michael McDonald, Chuck Rainey, Bernard Purdie, Dean Parks, Michael Omartian), le duo assure une musique parfaite. Que les amateurs de jazz se rassurent, AJA est totalement jazzy, plus encore que The Royal Scam. En fait, l'album est d'une précision millimétrique que l'on ne retrouve que dans deux styles musicaux : le classique et le jazz.
En 40 minutes tout rond, l'album, sous une superbe et sobre pochette de Hideki Fuji, est assez difficile d'accès, en raison de sa froideur clinique. Les textes sont cryptiques, qu'ils soient cyniques ("Deacon Blues", "Josie", "Black Cow") ou rêveurs ("Home At Last", inspiré par l'Odyssée d'Homère, "Aja" et son ambiance orientale). Quant à la musique, elle est si parfaite, si précise, qu'il faut du temps pour s'y frayer un chemin. C'est en fait ici que réside le principal défaut d'AJA : son manque de spontanéité. L'ensemble sonne trop bien produit pour être humble. Tout au long de l'enregistrement, Becker et Fagen harcèleront leurs musiciens de studio pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes.
AJA respire le luxe, le talent, le génie assumé. Donald Fagen y chante comme rarement et ses claviers sont parfaits. Walter Becker ne joue pas sur tous les titres (il n'est pas sur "Black Cow" ni sur le tube funky/disco "Peg"), mais quand il fait des soli de guitare ("I Got The News", "Home At Last"), il assure. "Josie" est une chanson parfaite pour danser, même si les paroles assez salaces (She prays like a Roman with her eyes on fire) assurent un meilleur voyage que la rythmique syncopée et, là aussi, limite disco (malgré les notes de pochettes initiales du journaliste Michael Phalen, qui assure que le morceau est punk, sauf pour la musique naturellement).
L'album, malgré sa froideur clinique due à sa production parfaite à l'extrême est un régal sonore. Un disque de fin gourmet, pour mélomanes, et l'on imagine sans peine le ravissement des fans du groupe à l'époque (et j'envie celles et ceux qui le découvriront, tôt ou tard). On comprend aussi très nettement pourquoi les punks crachaient sur ce groupe, ainsi que sur Fleetwood Mac et sur les groupes de rock progressif : tout ce luxe, cette production, ne collaient pas avec leurs idéaux. En guise de conclusion 'AJA' est un des sommets du groupe et surtout leur dernier grand disque.