Il serait aujourd'hui paradoxal de présenter Teradelie, incontournable artiste multi-instrumentiste, injustement condamnée a errer dans les limbes de la scène française malgré son dixième album, ''Blackolza''
Dès la première piste, 'Il y eut un temps', Teradelie nous plonge dans les affres d'une âme délaissée. Les éclats d'une batterie
agressive (hélas programmée) laissent d’abord place a une voix douce lointaine
répétant le titre avant qu'une voix râpeuse de vampire (rappelant celle d'Arthur H) ne débite
un texte de manière syncopée, texte qui est d'ailleurs répété ad
nauseam avant un solo de guitare déchaîné. Cette première piste ouvre le bal et nous place tout de suite dans le vif du sujet : des ambiances glaçantes et une voix qui semble jouer avec sonorités des mots.
L'album prend des hauteurs et de la vitesse avec la troisième piste, un instrumental qui
fait la part belle aux synthétiseurs des années 80 tout en
rappelant le Kraftwerk de ''Man-Machine''. Le personnage principal s'enferme dans des paradis artificiels et tombe dans une autre époque, voire dans un autre
monde linguistique. En
effet, la suite de l'album se déclinera dans la langue de T.S. Eliot
pour quatre chansons. Parmi ces
pistes, se distinguent 'Atomic', moins une critique de l’État américain qu'une nouvelle
preuve de la paranoïa ambiante qui a envahi la narratrice, à travers un texte tantôt subversif tantôt dément. La chanson
s'apparente à un duo entre la chanteuse et elle-même, une voix
désespérée contre une voix radicale sous une ambiance radiante (certains feulements sensuels rappelleront Mona Soyoc). La
deuxième partie de la chanson semble plus apaisée et plus joyeuse
et pourra rappeler le sous-titre anglais du film de Stanley Kubrick ''Docteur Folamour''.
Teradelie se rit et se joue des genres, investissant chacun d'eux et les colorant de sa touche personnelle. Le
retour au français sur' Surexposition' coïncide avec un titre proche de la
musique techno (retour a l’époque moderne?) illustré vocalement par un texte poétique à nouveau répété en boucle. Le
sommet de l'album 'Duo ex machina', permet
à la chanteuse
lilloise, soutenue par un rythme tribal dévoile une palette vocale
assez large, convoquant tout au long de l'album des figures illustres comme Björk, Kate Bush, Siiri Sisask, voire une Mylene Farmer vocalement dopée. Le titre éponyme plonge l'auditeur dans une ambiance
atmosphérique évoquant les origines du monde avec une mélopée invoquant la
voix parfois démoniaque de Lydia Lunch.
On
retrouve parmi les trois dernières pistes, 'Suffira', un duo pop rock
dans laquelle la voix mielleuse masculine semble engloutie par la folie de la
femme, grâce a la voix haut perchée de Teradelie. L'album s’achève sur une
note déprimante, la reprise d'une chanson de Genesis, 'Say it's
alright Joe' (Phil Collins la chantait en jouant un pilier de bar), devenue
un reggae atmosphérique dont les coups de boutoir de la batterie et
la voix désespérée nous laissent peu d'espoir de sortie de ce
monde.
Avec
son dixième album, Teradelie signe une œuvre noire, expérience
musicale inclassable dans les contrées froides de l'esprit humain, vampirisant chacun des genres musicaux (pop, techno, avant-garde poétique, rock atmosphérique...). On
peut regretter que les paroles soient répétées en boucle, mais ce
processus étant conforme a l’idée d'enfermement dont est victime le
personnage principal. ''Blackolza'' est une séance
d'hypnose qui mène l'auditeur sur des calottes de banquises noires de la
Cosmogonie.