Quand j'avais à peine la vingtaine, les cheveux longs filasse, le perfecto vissé sur les épaules et le visage maculé de traces d'acné, j’écoutais une émission de radio présentant le premier album d'un jeune groupe : Supuration. A cette époque le death américain explosait (Death, Morbid Angel, Carcass, Obituary) et la France qui prenait le train en marche avait peu de représentant de ce courant maudit (hormis peut-être Loud Blast). Supuration était ainsi un quatuor en devenir avec sa musique à la violence inouïe. Si le groupe avait auparavant produit une démo et quelques singles influencés par le death américain, ce premier album s'éloigne de ces influences et impose un style en avance sur son temps, à mille lieux du death basique.
Sur The Cube, tout commence par des mots murmurés qui pausent une ambiance morbide et sans espoir :
Forgive me, I'd rather die.
Just remember me, goodbye...
On découvre alors un concentré de rage mis en musique.
Ce qui interpelle en premier lieu, c’est le contraste entre les arpèges cristallins de Prelude et les pulsations épileptiques de The Elevation. Ces ondes animales sont portées par une voix caverneuse, à laquelle s'ajoute une voix héritière de Depeche Mode ou du rock gothic. Supuration a osé mettre des vocaux à la limite pop dans une musique Death-Metal. Pour tout musicien extrême cette démarche aurait été la pire trahison, pour Supuration c'est un coup de génie qui se transformera en une marque de fabrique.
The Cube est un concept fort, puissant, morbide (forcément), froid (indispensable aussi quand on traite de la mort) et sans concessions. L'histoire suit l’expérience d'une âme après son suicide qui traverse un au-delà glacial et sombre, loin de toute image religieuse. Elle cherche une rédemption, ou peut-être la connaissance ultime au travers d'une expérience mystique areligieuse. Dans ce voyage extra-corporel, tout est froid, un peu à l’image du huis clos angoissant Cube de Vincenzo Natali, ou comme une certaine école de science-fiction portée par Arthur Clark ou Philip Dick.
Ce conte morbide à pour fil conducteur l'alternance voix claire / growl. Les morceaux puissant se suivent avec une constance mélodique impressionnante, des changements de rythmes dantesques (Soul’s Speculum, The Elevation ou le morceau titre) et quelques passages instrumentaux techniques et rapides ponctués par des éructations de guitare dissonantes et bizarroïdes. Tous les morceaux sont géniaux, passionnants, construits autours de breaks imparables, de riffs sortis d’on ne sait où, de soli extra-terrestre et d'une batterie animale lourde comme le plomb. Le death que Supuration initie ici est impressionnant et peut aisément rivaliser avec la technicité de Pestilence.
Supuration signe avec The Cube un album indispensable pour tout amateur de death. Il subjuguera les adorateurs de riffs dissonants et les musiciens férus de contes contemporains... Les frangins Loez sont des conteurs modernes fous, des “cyber troubadours” jamais en mal d’inspiration. Le groupe aime les concepts de qualité, il aime aussi développer des idées à tiroir, des enchevêtrements et des rebondissement. Ces imbrications seront d'ailleurs reprises dans Incubation la pré-quelle de The Cube et dans Cu3e sa suite. Il y a eu un avant The Cube et un après, comme un bouleversement sensoriel, une révélation musicale.