Quand j’avais à peine la trentaine, les cheveux bien dégagés derrière la nuque, la cravate délicatement nouée autour du cou et les marques de coupure de rasoir sur le visage, je lisais beaucoup de canards qui annonçaient le retour de Supuration comme le messie tant attendu. En sommeil depuis une décennie, les frangins avaient préféré se consacrer à son petit frère expérimental : S.U.P. Or en cette année 2003, ils avaient choisi de ressusciter la lourdeur, le froid, la puissance et la rage et réanimant le grand ancien Supuration. Il souhaitaient ainsi explorer une nouvelle facette du Cube pour nous faire vivre les mois précédant le suicide de son personnage principal.
Incubation reprend les éléments qui ont fait le succès de The Cube... ainsi tout commence par des paroles susurrées qui pausent une ambiance triste et sombre :
Oh Diary, I’m so Stupid.
Puis c'est encore une fois un déluge de violence, de son et de puissance. Ce qui frappe à nouveau, c’est le contraste fort entre la voix claire et le growl. Cette dernière semble plus profonde et plus maîtrisée qu'il y a dix ans - le groupe a acquis une sacrée expérience au fil des années S.U.P. Quant à l'emballage, même si l’imagerie du groupe a évolué, elle reste toujours oppressante... Qui plus est ce tome -1 est paré d'un habillage classieux, sous la forme d'un digipack de très belle facture.
Ce second opus est divisé en neuf étapes, chacune répondant à celle de The Cube : l’oreille distingue de-ci de-là des riffs connus, des mélodies qui illustraient les passages clés, des images qui matérialisaient le voyage précédent. Ainsi dans la vie misérable du personnage principal avant son suicide et son voyage oppressant dans l'au-delà, on assiste impuissant aux déchirures irréparables de son âme qu'il essaie tant bien que mal de colmater. On suit sa descente aux enfers au travers d'une narration ponctuant les mois précédant son geste ultime.
Ces parties sont lourdes comme le plomb ; le tempo est mesuré, les soli sont rares, les riff impressionnants donnent une réelle sensation d'étrangeté. Le groupe a fait un travail énorme pour construire un disque paradoxalement très proche et pourtant très différent du précédent. Les pistes malmènent, explosent puis recomposent les éléments de The Cube, pour ensuite les éparpiller au fil de l’écoute. Les morceaux sont puissants, ainsi "The Confusion" en ouverture est violent et fait écho à "The Elevation", le morceau titre est froid, "The Fathers’s Gun" est intelligemment construit par les images qu'il évoque, quant à "The Biological Clock", il est étonnant de par son final qui résume et mélange de nombreux éléments des deux albums.
"Incubation" est un album grandiose, qui n’a rien à envier à son aîné. Le trajectoire qu'il suit se trouve à équidistance entre la musique caverneuse de "The Cube" et les productions plus aventureuses et inhumaines à l'image de "Chronophobia"... . Supuration signe un album progressif construit comme un film d'horreur moderne, malsain et terrifiant. Le groupe a évolué, mais reste fier de son héritage musical qu'il transcende sans jamais le trahir.