En 1974, le génial Brian de Palma réalise "Phantom Of The Paradise", film fantasque et fantastique dans tous les sens du terme. L’histoire raconte la relation mouvementée qui unit un compositeur doué pour la musique mais un peu naïf à un producteur diabolique et sans scrupule, Swan, qui va lui voler son œuvre, sa petite amie et détruire sa vie. Loin du mélodrame que pourrait laisser supposer le synopsis, le film est une œuvre férocement délirante et mêle allègrement divers mythes et fictions, du "Fantôme de l’opéra" de Gaston Leroux au portrait de Dorian Gray, en passant par Faust et son pacte avec le Malin.
Le côté décalé et fantastique de "Phantom Of The Paradise" est renforcé par l’incorporation de chansons complètes au sein des scènes, transformant le tout en film musical. Pour réaliser ce qui est un peu plus qu’une BO, Brian de Palma fait appel à Paul Williams, un compositeur de musiques oscillant entre variété internationale et pop, à qui il propose également de tenir le rôle de Swan. Paul Williams va avoir l’intelligence de créer une œuvre musicale aussi déjantée que le scénario et d’aligner onze petites pépites (le CD n’en comprendra que dix, ‘Never Thought I'd Get to Meet the Devil’ ayant mystérieusement disparu entre le film et le disque) qui alternent rocks fantaisistes et ballades sentimentales.
Il faut certes aimer le rock des années 60/70 pour goûter cet album, mais, si c’est le cas, alors quel bonheur ! Chaque interprète est à sa place. Le trio constitué de Archie Hahn, Jeffrey Comanor et Peter Elbling, alias Harold Oblong, intervient successivement sous le nom de The Juicy Fruits (‘Goodbye, Eddie, Goodbye’), The Beach Bums (‘Upholstery’) et The Undeads (‘Somebody Super Like You’) pour interpréter des rocks dynamiques dont les harmonies vocales ne sont pas sans rappeler celles des Beach Boys (on remarquera d’ailleurs que l’un des pseudos du groupe est The Beach Bums, littéralement Les Clodos de la Plage). Ray Kennedy incarne un rocker déchu inquiétant à souhait et l’interprétation acoustique de ‘Faust’ par William Finley, fragile et romantique, est tout en pudeur et retenue. Jessica Harper chante d’une voix suave et chaude les deux titres qui lui sont dévolus, très boîte de nuit sur ‘Special To Me’ et délicieusement femme fatale sur ‘Old Souls’.
Enfin, Paul Williams interprète les trois plus belles chansons de l’album. Son timbre un peu rocailleux convient parfaitement au déchirement que nous fait partager le fantôme sur ‘Phantom’s Theme’ ou à son espoir renaissant sur la reprise électrique de ‘Faust’ où le personnage, aussi tourmenté soit-il, paraît bien plus assuré que sur la version acoustique, mûri par ses désillusions. Quant à ‘The Hell Of It’ qui clôt l’album, c’est un rock sombre aux guitares lourdes et au texte cynique et désespéré (‘Love yourself as you love no other, be no man’s fool, be no man’s brother, we’re all born to die alone’) qui contraste avec la légèreté du refrain et ses chœurs efféminés.
S’il est recommandé de découvrir ces chansons en regardant le film qui leur sert par la même occasion de clip de luxe, l’album peut s’écouter pour lui-même, contrairement à bon nombre de BO. Alors, un conseil : découvrez vite ce film-culte si ce n’est déjà fait puis passez-vous le CD à la suite. Une manière simple de doubler son plaisir.