Une fois n'est pas coutume, je vais déroger à l'habituel devoir d'objectivité qui tient généralement lieu de ligne de conduite aux chroniqueurs de Music Waves, pour faire parler mes émotions au moment de chroniquer Open your Eyes, et clôturer momentanément, en attendant un potentiel successeur au récent Heaven and Earth, la revue de l'immense discographie studio du non moins immense groupe (ou marque diront certains) qu'est Yes.
Dix-sept années après sa sortie, celle-ci suivant les splendides Keys to Ascension qui auront vu le départ définitif (à ce jour, avec ce groupe il ne faut présager de rien !) de Rick Wakeman, remplacé par billy Sherwood, force m'est de reconnaître que cet album continue de me laisser froid comme un glaçon : sa production chirurgicale et ses sonorités filtrées outre mesure pour donner une touche moderne très américaine rendent son écoute pénible, et totalement en décalage avec ce qui fait l'essence même de ce groupe. La voix de Jon Anderson en devient insupportable, d'autant plus dans les parties doublées à la tierce par Chris Squire (nombreuses, comme le veut la tradition du groupe). Quant aux sonorités de clavier 70's remises au goût du jour, elles s'avèrent tout bonnement catastrophiques (cf la prestation d'Igor Koroshev sur Fortune Seller).
Mais, plus que la réalisation discutable, c'est surtout d'un manque d'inspiration flagrant dont souffre Open Your Eyes, les onze compositions présentes étant d'une faiblesse remarquable. Aux titres construits basiquement sur des enchaînements couplets/refrains soutenus par une rythmique monolithique (New State of Mind et Open your Eyes) succèdent des plages aux mélodies inexistantes, entrecoupées d'intervention instrumentales bruitistes sans queue ni tête, semblant même complètement en décalage avec le chant de Jon Anderson (Universal Garden par exemple). Le summum de la médiocrité est atteint avec Fortune Seller, dont j'affirme ici haut et fort qu'il s'agit du plus mauvais morceau jamais écrit par Yes à ce jour.
Sans projet directeur ni mélodie digne de ce nom, les différentes plages tournent rapidement en rond, et les quelques interventions solistes de Steve Howe ne parviennent même pas à relever le niveau général, semblant là encore en décalage complet avec le propos péniblement porté par Jon Anderson. Et quand il parvient néanmoins à s'enflammer, c'est pour voir sa prestation interrompue par un fade out malencontreux (!) ou une fin de morceau brutale.
Au milieu de tout ce marasme, il reste néanmoins un peu de musique écoutable (et supportable) : Man in the Moon pourra éventuellement contenter les amateurs d'un Yes moderniste, mais ce sont surtout les 2'43 de liberté accordées à Steve Howe et Jon Anderson pour une chanson acoustique voix/guitare qui vont apporter un peu de réconfort à l'auditeur jusqu'alors fort marri (From the Balcony).
Quant aux 23 minutes de The Solution qui à la simple lecture de la tracklist pourraient réjouir par avance tout amateur de rock progressif, elles ne sont qu'illusion puisque les 18 dernières minutes ne sont remplies que de bruits de nature de bord de mer sur lesquels sont posées 2 ou 3 interventions très courtes de Jon Anderson. Mais finalement, après le déluge bruitiste qui précède, ne sont-ce finalement pas les meilleurs moments de cet album en tout point raté ?