Nucleus Torn fait partie de ces groupes dont on se demande pourquoi ils sont affiliés au Metal, ce qui du coup les prive d'une audience plus large. En effet, au cas particulier, ne serait-ce son label (Prophecy Productions), la participation de certains ses membres à des projets plus électriques (Eluveitie et Lethe pour la chanteuse Anna Murphy par exemple) et la mélancolie boisée qui perle de son art, on pourrait chercher longtemps une raison à ce curieux arrimage... Du moins, est-ce vrai de loin car, de plus près, la réalité se veut plus complexe.
"Street Lights Fail" résume à ce titre parfaitement l'ambivalence d'une musique à l'identité unique et mouvante qui semble vouloir peu à peu se détacher du socle néo-folk originel pour se faire plus progressive. La durée des compositions, de plus en plus étirées (presque 20 minutes pour 'Worms' !) et certaines ambiances tragiques évoquant un peu l'esprit du Genesis époque Peter Gabriel, paraissent confirmer cette impression.
Pour autant, Nucleus Torn ne renie pas ses racines obscures qui s'expriment notamment à travers ces riffs lourds qui surgissent au moment où on les attend le moins. En résulte un album faussement atmosphérique et linéaire que seules de nombreuses plongées dans son intimité cachée permet d'en déceler tous les trésors, toute la richesse.
De fait, les premières écoutes peuvent décevoir car on n'en retient de prime abord pas grand chose, à l'image de 'The Promise Of Night' à l'électro-encéphalogramme presque plat, plainte inutilement longue qu'animent uniquement quelques notes de pianos et la voix d'Anna Murphy. Celle-ci est la clé de voûte, tour à tour fragile et puissante, de cet édifice dont l'épure finit par séduire. Plus les années passent, plus l'art de Fredy Schnyder, l'âme de cette entité unique, tend à devenir pointilliste, presque impalpable et ce, en dépit d'une richesse instrumentale foisonnante. Il suffit d'écouter attentivement l'inaugural '-' pour mesurer à la fois cette maîtrise et ce sens de la progression émotionnelle.
Mais l'apothéose de l'album est sans nul doute incarné par le déjà cité 'Worms', pièce démentielle aux allures de labyrinthe forestier où alternent lourds aplats presque Thrash (?), geysers puissants et sèches palpitations acoustiques, le tout souligné par des percussions d'une belle variété de touches. Epicentre égrenant des ambiances noires et hantées, c'est un véritable périple fantastique auquel nous convie les Autrichiens qui accouchent là d'une de leurs plus belles compositions, entre prog duveteux et dark folk déchainé riche de ses nuances en clair-obscur.
Premier segment d'un diptyque qui s'achèvera en 2015 avec "Neon Lights Eternal", cette cinquième offrande surprend autant qu'elle finit par envoûter, exercice admirable de contraste. Nucleus Torn poursuit son exploration, continue de façonner son art. C'est passionnant.