A l'heure de la musique en barre, prémâchée, standardisée, aussi vite oubliée que consommée, il est rassurant de découvrir un groupe tel que Mater Thallium, impossible à enfermer dans une confortable case aux contours bien définis. De loin, les Norvégiens semblent forger un rock progressif nourri à l'école de Canterbury dont on reconnait certains traits, notamment l'emploi de claviers (orgue, mellotron) comme échappés des années 70 ou les lignes vocales théâtrales. De près, la réalité se révèle plus complexe, plus subtile également.
Nombre de détails viennent en effet parasiter cette lecture. Guitares lourdes et ambiances extrêmement noires empoisonnent une écriture dont les racines Doom font plus qu'affleurer à la surface, câbles granitiques jaillissant pour répandre leur déglinguée mélancolie. Une dimension tragique, dont le pinceau est le chant de Petter Falk et des atmosphères parfois quasi liturgiques terminent de faire de Mater Thallium une formation franchement singulière. Et du coup, des plus passionnantes, à l'image de "Abandoned By The Sun", seconde offrande d'une foisonnante richesse qui possède le pouvoir (de plus en plus) rare de hanter le pèlerin qui s'est aventuré dans ses sombres méandres longtemps après l'écoute achevée.
Le fait qu'elle épouse la forme d'un concept-album confère à l'oeuvre des allures de récit, de bloc indivisible dont on suit la progression, une progression douloureuse que commande la noirceur d'une histoire basée sur la disparition d'une adolescente et les conséquences de celle-ci sur ses proches. Encadré par deux longues sentinelles qui se répondent, 'Sudden Dereliction' en ouverture et 'Finite' en conclusion, l'album semble écrasé par une faute qui ne peut être pardonnée, par des regrets infinis, chemin de croix puissamment désespéré qu'aucune lumière ne vient jamais réchauffer ni éclairer.
Très vite, on est entrainé vers l'indicible, avalé par un maelström émotionnel. Si une vraie beauté suinte de cette sombre trame, témoin le court 'Suicidium' et son choeur d'église, respiration faussement sereine, la majorité des compositions, pleines de fractures, ont quelque chose de dédales aux recoins inquiétants, que polluent des rushs de guitares au goût de rouille qui ne sont pas sans évoquer le spectre du King Crimson le plus halluciné ('Exiled Witness'). Il faut d'ailleurs à ce titre absolument souligner le superbe travail réalisé aussi bien en terme d'arrangements que de chant, varié et bouleversant, palette sonore d'une riche tessiture.
Comme la roche en hiver, l'album se révèle glacial, de cette froideur minérale propre à nombre de formations norvégiennes qui possèdent ce son abrupt qui n'appartient qu'à elles. Opus cathartique et organique, "Abandoned By The Sun" a quelque chose d'un calvaire marbré de nervures charriant une musique minée par la contrition, écrite à l'encre du désespoir.