Enthousiasmée par le rock progressif anglais, l'Italie a connu un phénomène de syncrétisme musical dans les années 70. Trois groupes ayant réussi à s'exporter au-delà des frontières transalpines se sont distingués : le pionnier Le Orme, et les deux virtuoses Premiata Forneria Marconi et Banco del Muttuo Soccorso. Autour de ces formations, gravitait une nébuleuse de groupes dont l'influence ne fut pas négligeable, mais dont le succès a été plus confidentiel. Area est l'un d'entre eux. Formé en 1972 par le chanteur d'origine grecque Demetrio Stratos et le batteur Giulio Capiozzo, le groupe sera plus tard rejoint par le bassiste niçois Patrick Djivas (futur membre de Premiata Forneria Marconi). ''Arbeit Macht Frei'' ('Le travail rend libre') emprunte son titre à l'inscription allemande figurant à l'entrée du camp de concentration d'Auschwitz. Le groupe revendique un engagement politique de gauche (le premier titre de leur album sera d'ailleurs censuré de sa dernière partie, rappelant avec malice Septembre Noir).
Ce premier essai occupe une place encore délicate entre rock progressif et jazz fusion. Si la plus longue piste culmine à un peu moins de dix minutes, la durée moyenne de l'album est assez courte : 36 minutes. L'une des grandes réussites de celui-ci réside dans la voix puissante
de son chanteur, mise à égalité des autres instruments. Les
prouesses vocales de Demetrio Stratos sont certes remarquables mais les
oreilles de l'auditeur devront faire un choix quasi matrimonial. Dans
'L'abbatimiento dello Zeppelin', version expérimentale de 'Whole lotta
love' de Led Zeppelin (que le groupe devait apprendre à
jouer pour pouvoir conserver sa place dans un club), les vocalises de Stratos se placent entre Robert Wyatt et... Tarzan!
Ces contrastes extrêmes se retrouvent dans la musicalité du groupe que l'on pourrait qualifier d'imprévisible. Il dicte ses règles qui peuvent parfois apparaître improvisées, expérimentant au-delà du rock progressif et du jazz. Ce brio n'est pas toujours assumé comme par exemple le titre éponyme qui se perd d'abord dans une démonstration soporifique de percussions rappelant plutôt le King Crimson de la seconde partie de 'Moonchild', avant d'être sauvé par sa basse et son saxophone (la mainmise de cet instrument plane sur les morceaux, en particulier grâce à son jeu nerveux sur '240 cilometri da Smire qui rappelle David Jackson).
Si le caractère expérimental du groupe peut rebuter, Area a pourtant choisi d'ouvrir l'album par le progressif 'Luglio, Agosto, Settembre (nero)'. Débutant par une récitation en arabe d'un poème sur la paix, la suite devient plus énergique en reposant sur la basse grondante de Patrick Djivas, les claviers aériens et son rythme balkanique, qui annonce la world music.
Il est difficile de classer un album qui brille par son exubérance, qu'elle soit politique ou musicale. Si l'écoute de cet album s'avère exigeante, le groupe aura pourtant rempli sa mission, celle d'offrir un miroir sonore à une société manquant de cohésion sociale et de stabilité.