Etron Fou Leloublan fit partie du premier concert Rock In Opposition du 12 mars 1978 à Londres (en compagnie d'Univers Zero, Sammla Mammas Manna, Stormy Six et Henry Cow). Derrière ce patronyme bizarre (qui dissimule en prenant chacune des initiales, une célèbre tour parisienne), on retrouve un trio grenoblois formé de Chris Chanet (saxophone et chant), Guigou Chenevier (batterie et fondateur du groupe Volapuk) et Ferdinand Richard (basse, guitare et chant).
Imprévisible. C´est bien le mot qui pourrait caractériser la musique du groupe. Bien malin celui qui pourrait deviner les conséquences de l'ouverture de cette boîte de Pandore musicale dès la première piste 'L'amulette et le petit rabbin'. Il serait facile de se méprendre à l'écoute de cette introduction folk et on s'attendrait presque à entendre la voix de Paul Simon nous conter une légende locale. Mais les arpèges de guitare se font plus pressants jusqu'à déboucher sur une rythmique quasi punk précédant la voix gouailleuse d'un bateleur (entre le Jethro Tull de 'The Hare who lost his spectacles' et le Ange de 'Si j'étais le messie') nous invitant à écouter une histoire farfelue. La section rythmique prend des directions free jazz qui ne seront qu'une énième manière de brouiller les cartes. Chris Chanet module sa voix, s'amuse à rouler les r, chante comme un possédé ou parfois se fait émouvant comme lors du final qui ressemble à celui d''A plague of lightouse keepers' de Van der Graaf Generator.
Le groupe démontre un penchant pour des textes absurdes dont les paroles contredisent parfois le titre (le petit rabbin du titre devient gros dans les paroles) et cultive un héritage dadaïste comme le prouve la piste finale 'Histoire de graine'. Aux sons d'une basse funèbre et d'un saxophone pantagruélique, Ferdinand Richard, plus en retenu que son compère, semble nous conter une nouvelle histoire sans queue ni tête faisant certes la part belle aux calembours, mais dont la tonalité d'ensemble n'entretient plus de rapport étroit avec le comique, en témoigne le chant éraillé (et peu clair) sur la dernière partie de la chanson.
Catalogué comme groupe comique au sein du RIO, Etron Fou Leloublan est pourtant autant a l´aise dans les compositions instrumentales que les autres cadors comme sur 'Madame Richard Larika' ou 'Sololo Brigida', qui sonne comme une samba dézinguée par un solo de batterie. L'ambiance de la première piste citée plus haut est tantôt Everest (via une ambiance malsaine générée par les guitares et les basses) tantôt Stromboli (via les saxophones démentiels tantôt free jazz, tantôt plus expérimentaux).
Etron Fou Leloublan, s'appuyant sur ses saxophones plombants, ses paroles et son chant délirants et sa section rythmique carrée, plante dès son premier album un clou dans le cercueil du rock en nous proposant une musique chaotique difficile à appréhender, mais qui dévoile toute sa richesse pour peu que l'on puisse l'apprivoiser. Bien avant, la sortie de cet album, Chris Chanet faisait déjà part d'envie de large, il retrouvera le groupe lors de son chant du cygne.