Depuis un peu plus de 10 ans et la sortie du projet Kalevala, Colossus et son pilote Marco Bernard multiplient les sorties du même type, proposant à de multiples groupes et artistes de toute nationalité (qui parfois se regroupent pour l'occasion) de composer un ou plusieurs titres en rapport avec un concept centralisateur, dans un style progressif fortement typé années 70. Dernier magnum opus en date, le Decameron (Ten Days in 100 Novellas) se découpe en trois parties de 4 CD chacune. Après la publication d'un premier volet en 2011, le deuxième nous arrive en cette année 2014, accompagné d'un copieux livret garni de magnifiques illustrations signées Ed Unitsky.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas (encore) le Decameron, un bref rappel s'impose. Il s'agit d'un ouvrage du 14è siècle écrit par l'auteur italien Boccace. L'histoire contée par ces 100 nouvelles retrace la vie supposée de 10 personnes, 7 femmes et 3 hommes, réfugiées en campagne lors d'une épidémie de peste noire qui ravagea Florence et qui, pour s'occuper, se mirent au défi d'inventer chaque jour selon un thème choisi, une histoire différente durant les 2 semaines que dura leur isolement (en ne travaillant pas les vendredi et samedi, d'où le total de 100).
Portant plus de quatre heures de musique, ce deuxième volet de l'histoire couvre les jours 4 à 7, avec un total de 35 titres majoritairement interprétés par des artistes transalpins. Mais on retrouve aussi quelques habitués de ces productions comme les argentins de Nexus, Steve Unruh et les Samouraï du Prog, et puis une (divine) surprise avec ce qui constitue le dernier morceau de l'histoire d'Unitopia, avant que ses deux fondateurs ne choisissent de vivre séparément leurs aventures musicales. Avec un tel volume de musique, impossible d'être exhaustif dans la description, aussi allons-nous parcourir cette œuvre selon sa chronologie.
Le premier CD met immédiatement l'auditeur dans l'ambiance 70's souhaitée par Marco Bernard, avec une prééminence pour des groupes sud-américains. En tête de gondole et en habitués des lieux, on retrouve bien entendu Nexus et son leader Lalo Huber, mais aussi d'autres combos plus obscurs dont les interprétations majoritairement instrumentales tiennent correctement la route, le tout fournissant, avec l'aide de Willowglass, une première galette très cohérente de plutôt bon niveau, en tout cas sans temps faible.
Le deuxième CD va quant à lui monter un peu plus le niveau, par la grâce notamment d'un excellent titre des Samouraïs du Prog menés par Steve Unruh, lequel nous délivre en suivant et en solo un passionnant epic de près de 15 minutes, sorte de chanson de geste médiévale agrémentée de passages hispanisants, mais surtout d'une fantastique (et longue) partie instrumentale au sein duquel virevoltent flûte, guitare et violon. Il ne faut pas non plus oublier la performance de Orchestra d'Oblio, pour une plage démarrant de manière incertaine, mais entrainant ensuite l'auditeur dans une sarabande épique à la rythmique savoureuse sublimée par des interventions de saxophone et de trompette.
Après de tels sommets, le troisième CD revient quelque peu sur terre, tout en continuant à proposer des titres de qualité, et notamment celui fourni par Narrow Pass, groupe italien dont le symphonisme romantique est malheureusement peu souvent mis à l'honneur dans nos contrées progressives. Cerise sur le gâteau, la prestation légèrement décalée mais oh combien rafraîchissante des français de La Théorie Des Cordes vient briser l'impression d'uniformité qui finit inévitablement par s'installer après trois heures d'écoute.
Le dernier CD de cette fresque fantastique va quant à lui s'avérer un peu plus décousu. Non pas que les derniers titres proposés soient de mauvaise qualité, mais tout simplement parce qu'un phare illumine outrageusement le début de cette dernière galette, auprès duquel ses compagnons de cordée se révèlent de bien moindre saveur. En 20 minutes, les australiens d'Unitopia, pour ce qui sera leur dernière production (sauf revirement futur), nous emmènent une nouvelle fois très très loin dans le plaisir progressif, avec un morceau en plusieurs parties qui rappelle les plus belles heures de The Garden (sur l'album du même nom) ou encore Tesla (sur Artificial). Réel bonheur auditif qui justifiera (avec l'iconographie fouillée d'Ed Unitsky) presque à lui seul l'achat de ce quadruple album !
Une nouvelle fois, et malgré la quantité astronomique de musique présentée, ce projet Colossus remplit pleinement son contrat : si l'on restera mesuré quant à la pertinence du rendu musical du concept initial (difficile de se prononcer sur la cohérence des titres instrumentaux par rapport à l'histoire qui y est associée), force est de reconnaître qu'il y a peu de titres faibles sur l'ensemble de cette œuvre gargantuesque. Même si de par sa longueur il sera difficile de se l'ingurgiter d'une traite, la qualité de la plupart des morceaux fera que l'on y reviendra régulièrement avec plaisir. Et je ne parle même pas ici des longues minutes passionnantes passées le nez dans le livret si richement enluminé. Vivement le volume 3 !