Pour ceux qui ne s'en seraient pas rendus compte, 1979 précède d'un an la décennie des 80's. Etonnant sens de l'observation diront certains. Et alors ? s'exclameront d'autres. Une explication s'impose : les observateurs s'accordent à dire que cette période charnière subit un double phénomène, entre standardisation des titres et aseptisation de la production, société de consommation oblige. Ce qui n'entre pas dans le moule n'est pas viable, malheur à celui qui a une double-croche qui dépasse.
Par instinct de survie ou plus simplement parce qu'ils ont eux-mêmes subi l'influence de cette nouvelle mode, les grands groupes progressifs délaissent la démesure d'antan pourtant vecteur de leur gloire pour revenir à des formats simplifiés. En 1978, Yes sort "Tormato", Genesis "And Then There Were Three" et ELP "Love Beach", en 1979 Pink Floyd accouche de "The Wall". Quelle que soit la qualité qu'on accorde à ces albums, aucun ne contient de longue suite progressive de l'essence de celles qui ont contribué à l'âge d'or de ce mouvement.
Dans ce contexte, rien d'anormal à ce que Styx tourne complètement le dos à ses timides aspirations progressives qu'il avait développées dans ses deux albums précédents, sans pour autant d'ailleurs revenir non plus à ses racines hard rock du début. Poursuivant en quelque sorte son évolution dans le sens du vent, il livre avec "Cornerstone" un mélange d'AOR light, de glam rock et de pop très agréable à écouter mais manquant cependant un peu de consistance par rapport à ses aînés, certains titres paraissant bien légers ('Lights', 'Never Say Never', 'Borrowed Time', 'Eddie').
Le groupe ressemble plus que jamais à Queen avec son rock extraverti, ses chœurs omniprésents et ses envolées de guitare. Si Young joue son hard rock traditionnel mais bien moins inspiré que ceux des derniers albums, Shaw semble quant à lui parfaitement s'adapter aux carcans mercantiles qu'on lui impose. Il est vrai qu'il a toujours été l'homme des tubes FM en puissance depuis 'Crystal Ball'. On lui doit néanmoins les deux titres les plus inattendus de 'Cornerstone', la très réussie ballade folk 'Boat On The River' et le raisonnablement complexe 'Love In The Midnight'. DeYoung signe encore deux très belles ballades sans mièvrerie, 'Babe' et l'injustement méconnu 'First Time', un morceau digne de figurer aux côtés de 'Lady' et 'Babe' au titre des plus belles chansons romantiques du groupe.
Bien que décrié par ses fans de la première heure, Styx n'a pas à rougir de "Cornerstone". L'album contient son lot de belles mélodies, l'interprétation est impeccable comme d'habitude, et l'on passe un agréable moment à l'écouter. Néanmoins "Cornerstone" semble parfois un peu lisse et ses compositions paraissent dans l'ensemble moins inventives et entraînantes que celles des quatre albums précédents. Cette simplification est un sacrifice auquel Styx a peut-être consenti sur l'autel de la reconnaissance commerciale.