Pour leur dixième album, Styx renoue avec les concepts albums déjà abordés sur "The Grand Illusion" et "Pieces Of Eight" mais temporairement délaissés avec le plus simple mais néanmoins réussi "Cornerstone". "Paradise Theatre" nous conte l'histoire du magnifique bâtiment éponyme construit à Chicago, de son ouverture à sa démolition pour être remplacé par un supermarché, prétexte pour le groupe à décrire le déclin de l'Amérique sur la dernière décennie.
L'album s'ouvre et se ferme (presque, le dernier titre étant réellement le très court instrumental 'State Street Sadie') par deux morceaux portant la date de création ('A.D. 1928') et de destruction ('A.D. 1958') du Paradise Theater, le titre de clôture reprenant le très beau thème du titre d'ouverture dans la grande tradition du concept album.
Entre les deux, Styx continue à être en état de grâce, que ce soit par la beauté de ses compositions, captivant et charmant l'auditeur instantanément, ou par l'énergie et la conviction de son interprétation. Comme toujours, l'écriture des chansons est répartie entre Young, Shaw et DeYoung même si ce dernier se taille la part du lion sur cet album : il signe seul six des onze titres et en co-signe deux de plus. Pourtant sa suprématie n'est pas aussi absolue qu'elle en a l'air et quelques tensions se font sentir entre DeYoung, poussant le groupe dans la voie d'une plus grande sophistication et d'une certaine grandiloquence, et Shaw, partisan d'une musique plus simple et directe. Tensions qui aboutiront trois ans plus tard à la séparation temporaire du groupe.
Mais ces dissensions internes n'ont pas encore d'effet perceptible sur la musique de Styx : 'Rockin' The Paradise' est un excellent rock joué à 200 kms/h, 'The Best Of Times' commence comme une ballade romantique qui prend de l'ampleur et de la puissance au fil des minutes, classique de la patte de Styx, 'Snowblind' et 'Half-Penny, Two-Penny' sont deux hard rocks puissants et addictifs truffés de trouvailles et 'Too Much Time On My Hands' et 'She Cares' consacrent définitivement Shaw comme créateur de tubes FM. Néanmoins, le popisant 'Nothing Ever Goes As Planned' et surtout 'Lonely People', tous les deux composés par DeYoung, portent les stigmates de la fin d'un âge d'or. Abus de sonorités synthétiques, chant outré, léger manque d'inspiration, autant de signes à peine discernables qui seront malheureusement évidents sur l'album suivant.
En attendant, cette petite baisse de forme imperceptible ou presque ne porte pas préjudice à l'album. "Paradise Theater", s'il est le chant du cygne d'un groupe parvenu à son apogée, reste l'un des albums les plus aboutis de Styx.