Fer de lance de la variation djent du métal progressif qui a accouché de tant de groupes dès la fin des années 2000, le groupe Periphery a suivi une belle progression depuis son premier album éponyme en 2010. S’en est suivi un "Periphery II" en 2012 intercalé entre deux EP, "Icarus" et "Clear". Ce second album était marqué du sceau de la création collaborative avec un morceau composé par chaque membre du groupe et montrait bien le chemin parcouru depuis les premières expérimentations du seul maître à bord Misha Mansoor. Le troisième opus des américains s’inspire d’une idée qui germait déjà dans l’esprit de Mansoor depuis "Periphery" et qui voit son développement occuper un double album sous la forme originale de deux disques sortis simultanément. "Juggernaut" se veut l’alpha et l’omega de la créativité de Periphery avec deux albums connectés inévitablement par le concept qui les sous-tend.

Le titre le laisse entendre, "Juggernaut" est un pavé massif auquel il est difficile de résister. C'est votre capacité de digestion tout d’abord qui, même si la durée des deux albums réunis n’est pas exagérée (80 minutes environ), sera mise à contribution pour dissoudre l’épais alliage de métal progressif hyper technique et de djent épileptique diablement étourdissant qui baignent dans une mixture atmosphérique envoûtante. Votre sagacité ensuite, avec l’entrecroisement du concept, des ambiances cinématographiques et des chants (hurlés, gutturaux et clairs) qui donne une densité durement abordable mais qui prend lentement toute sa logique au fil des écoutes. Votre endurance enfin à ne pas succomber à la frénésie instinctive des corps qui seront inévitablement sollicités à se mouvoir dès la mise en présence de certains grooves et tempi.

Bien que les deux disques aient été composés et mûris sur une longue période, l’ensemble de l’œuvre se tient de bout en bout et renoue avec une certaine complexité que l’on n’avait pas entendue depuis "Periphery". Si "Alpha" vise principalement l’efficacité mélodique (‘Heavy Heart’ et ‘Alpha’) en se baladant sur ses terrains préférés, du métal alternatif au pur métal djent incandescent (‘The Bad Thing’ et l’imparable ’22 Faces’), "Omega" est plus atypique (la ballade ‘Priestess’), plus agressif (le binôme ‘Graveless’/‘Hell Below’) tout en étant plus sombre (‘Stranger Things‘) et plus progressif (le dantesque ‘Omega’). Periphery a encore peaufiné son savoir-faire dans les détails et agréments, qui un chorus de guitare accrocheur (‘Rainbow Gravity’), qui une respiration jazz (‘MK Ultra’, ‘Omega’) ou un interlude (‘The Event’), pour densifier ou aérer une musique déjà riche et chargée.

"Juggernaut" est un double album qui montre que Periphery n’est pas prisonnier de son compositeur attitré car le travail fut bien plus collégial pour l’occasion, ni bridé dans sa créativité car le groupe arrive à se renouveler dans sa spécialité. Dotées d’une production claire et massive, les contributions des musiciens (dont trois guitaristes) sonnent avec distinction et s’associent dans une parfaite symbiose. Avec "Juggernaut", Periphery continue sa progression sans faiblir et laisse à penser que le métal progressif djent a encore un bel avenir devant lui.