Sans atteindre des sommets, "Born Villain" (2012) semblait remettre Marilyn Manson sur les bons rails. Le Révérend s'y remettait en question et proposait enfin une évidente évolution à sa musique malgré la linéarité de l'ensemble. Poursuivant la démarche entamée avec cet album, l'apôtre de la décadence a saisi l'occasion de travailler avec Tyler Bates, fameux compositeur de bandes originales de film, séries TV et jeux vidéos. Cette coopération est à l'origine de "The Pale Emperor", nouvel opus coécrit par les deux hommes, reléguant au passage Twiggy Ramirez au rôle de simple musicien, alors que le reste du line-up voit Chris Vrenna (claviers), Jason Sutter (batterie) et Fred Sablan (Basse) quitter la formation au profit de l'arrivée de Gil Sharone (batterie) et d'un Tyler Bates décidément omniprésent car s'occupant des guitare, basse et claviers. S'inspirant d'un livre offert par son ami Johnny Depp et narrant l'histoire d'Héliogabale, empereur romain réputé pour sa décadence, sa vacuité politique et son souhait d'instaurer une religion monothéiste à Rome, "The Pale Emperor" possède tous les arguments pour confirmer le retour en grâce de Marilyn Manson ainsi que l'entrée de ce dernier dans l'âge adulte.
Cette nouvelle maturité se retrouve à différents niveaux, le premier étant la profondeur des textes. S'il était possible de constater la pertinence de sa réflexion au travers de nombreuses interviews, les paroles de ses chansons n'en restaient pas moins au stade de celles d'un adolescent que sa rébellion poussait aux pires provocations. Sous l'effet conjoint d'une vie sentimentale enfin stabilisée et de l'ambiance de travail avec Bates, Manson se livre ici à une forme d'introspection le poussant à nous livrer quelques superbes pièces où la profondeur du tourment le dispute à la majesté du propos. La souffrance contenue dans un 'Warship My Wreck' se libère petit à petit tout au long d'une montée en puissance parfaitement maîtrisée et déchirée par quelques cris de douleur qui vous lacère l'esprit, alors que le lourd et sombre 'Birds Of Hell Awaiting' insinue son gimmick obsédant ("This is your death desire") telle la complainte des âmes attendant leur jugement dans l'antichambre d'un étouffant purgatoire. Les diatribes sont également à l'honneur à l'occasion d'un 'Killing Strangers' critiquant le non-contrôle des armes en se glissant le long d'un blues-électro reptilien, ou d'un traditionnel pamphlet antireligieux se faisant pourtant entraînant ('The Devil Beneath My Feet'') dont on se surprend à continuer de fredonner le "don't want a motherfucker looking down on me" durant des heures.
Mais cette maturité épistolaire n'aurait pu s'épanouir comme elle le mérite sans une production à la hauteur et des compositions lui offrant l'écrin qu'elle mérite. Car c'est ici un autre miracle réalisé par Tyler Bates qui réussit à mettre en valeur le chant d'un Marilyn Manson qui n'est plus obligé de hurler à tout va pour s'extraire d'instruments trop prégnants. Ce dernier nous offre ici une démonstration de ses talents de comédien capable de transmettre des émotions au travers d'un chant varié et théâtral, vampire traînant sa mélancolie sous un soleil californien lui brûlant les chairs ('The Mephistopheles Of Los Angeles'), être dépravé ondulant le long d'un 'Third Day Of A Seven Day Binge', ou orateur déversant sa vision désabusée de l'être humain sur un 'Slave Only Dreams To Be King', avant de rendre les armes sur un 'Odds Of Even' à la lenteur désenchantée et caverneuse qui vient conclure un ensemble dont il serait dommage d'oublier le cinglant et imparable 'Deep Six' ou le saccadé et entraînant 'Cupid Carries A Gun'.
Alors que plus personne n'y croyait, Marilyn Manson nous propose ce qui est probablement son meilleur album depuis "Holy Wood", offrant au passage à la fois une performance esthétique exceptionnelle et une remise en question artistique aussi étonnante que réussie. "The Pale Emperor" devrait aussi bien ravir les fans d'albums tels que "Mechanical Animals" que de nouveaux amateurs de musique à la beauté sombre où la mélancolie le dispute au désenchantement. Une œuvre à écouter au moins une fois pour ne pas prendre le risque de passer à côté.
NB: A noter une version deluxe proposant 3 titres bonus étant des relectures acoustiques de morceaux de l'album et dont le principal intérêt et de constater que ces compositions tiennent toujours la route avec une production épurée, ce qui est un test qui ne trompe pas.