Près de dix ans se sont écoulés entre "Brave New World" et le précédent opus studio de Styx, "Edge Of The Century". Bien des évènements ont eu le temps de se dérouler sur une si longue période. Tout d'abord, la séparation de la formation d'"Edge Of The Century" en 1992. Puis la reformation du groupe en 1995, Tommy Shaw réintégrant les rangs aux dépens de Glen Burtnik et Todd Sucherman remplaçant John Panozzo à la batterie, ce dernier décédant l'année suivante d'une cirrhose du foie consécutive à de nombreuses années d'intempérance. La parution en 1995 d'un "Greatest Hits" contenant une nouvelle version de 'Lady', puis une tournée triomphale en 1996 suivie en 1997 des versions CD et DVD du concert, "Return To Paradise".
La reformation du combo autour du noyau DeYoung-Shaw ne peut être qu'une bonne nouvelle pour les fans du Styx, cette combinaison ayant enfanté les plus grands succès du groupe. Malheureusement, les dissensions du passé ont laissé des traces et Tommy Shaw et James Young en sont arrivés à difficilement supporter Dennis DeYoung. Matérialisation de ce fossé, si Shaw et Young collaborent volontiers sur cinq des titres, DeYoung signe seul ses compositions. Plus significatif, les titres signés Shaw, avec ou sans Young, laissent aux claviers de DeYoung une place anecdotique quand ils ne sont pas tout bonnement remplacés par des orchestrations de cordes ou de cuivres. Enfin, signe que la confiance ne règne plus, DeYoung se voit contraint de partager la production de l'album avec ses deux ex-amis.
Forcément, cette lutte à couteaux tirés se ressent à l'écoute. Styx, bien que tiraillé durant toute sa carrière entre ses penchants hard et glam rock, avait réussi à concilier les deux versants de sa personnalité en introduisant chœurs facétieux et autres inventions exotiques dans ses titres les plus hard et en ne dédaignant pas de bons vieux riffs tranchants dans ses chansons plus glamour. Sur "Brave New World", cela ressemble plus à une guerre de tranchées où chacun campe sur ses positions. D'un côté, du rock pur et dur, sans concession ni fioriture, tantôt hard lourd ('Number One', 'Heavy Water'), tantôt R&B dansant ('I Will Be Your Witness', 'Best New Face'), parfois rétro ('Just Fell In'). De l'autre, du rock avec strass et paillette, sous forme de ballade mélancolique ('While There's Still Time', 'Fallen Angel', 'Goodbye Roseland') ou lorgnant vers la comédie musicale ('Great Expectations', 'High Crimes & Misdemeanors').
Cette dichotomie trop tranchée fait faire le yo-yo à l'auditeur. Dommage car l'album est loin d'être mauvais et, si certains titres sont anecdotiques (le mièvre 'While There's Still Time', l'insignifiant 'Just Fell In'), d'autres sont excellents, à commencer par 'Brave New World' et son riff de guitare entêtant ou l'extravagant 'High Crimes & Misdemeanors'. Globalement, l'album passe bien et nombre de chansons donnent l'envie irrépressible de dodeliner de la tête et de battre le rythme en mesure.
Si cela ne suffit pas à faire de "Brave New World" un album incontournable, cela en fait quand même un compagnon plus recommandable que le peu avenant "Edge Of the Century", le disque disposant d'un potentiel comparable à "Man Of Miracles", "Equinox" ou "Cornerstone". Epilogue malheureux, DeYoung se verra exclu du groupe pour la tournée qui suivra la parution de cet album.