Y a-t-il un seul fan de Styx qui un jour ait imaginé dans son pire cauchemar voir son groupe fétiche sortir un album sans Dennis DeYoung ? L'inconcevable se produit pourtant avec "Cyclorama", DeYoung, évincé de façon assez inélégante après la sortie de "Brave New World", est remplacé par Lawrence Gowan. Chuck Panozzo, infecté par le VIH, ne fait plus que de courtes apparitions lorsque sa maladie le lui permet et est remplacé par Glen Burtnik qui, après avoir joué les doublures de Tommy Shaw à la guitare le temps d'un album, se retrouve désormais à la basse. Avec John Panozzo disparu en 1995, le trio fondateur de Styx ne fait désormais plus partie du line-up, même si Tommy Shaw et plus encore James Young ont toute la légitimité nécessaire pour porter le nom du groupe.
Peut-être est-ce pour montrer leur cohésion que tous les titres ou presque sont co-signés par les cinq musiciens, une première dans l'histoire du groupe où jusqu'à présent chacun avait l'habitude de composer dans son coin même si, à l'occasion, des alliances entre deux ou trois des membres se nouaient. Il fallait s'y attendre, le style musical tire furieusement vers le hard rock et l'AOR. La sophistication, l'emphase, la grandiloquence des albums précédents, quel que soit le nom qu'on leur donne, s'en sont allées avec Dennis DeYoung. La mélancolie et le caractère romantique des chansons ont fait de même.
Qui ne connaissait pas le groupe ne sera pas particulièrement étonné de la suprématie des guitares, de ces tempos rapides et de la belle énergie dépensée par les musiciens. Les chansons se succèdent les unes aux autres sans temps mort dans un style que ne renieraient pas Status Quo, Kiss ou Meat Loaf. Quelques ballades apaisent de temps à autres l'atmosphère ('Waiting For Our Time', 'Yes I Can', 'Killing the Thing That You Love' l'incontournable slow de ce genre d'albums) pour mieux relancer la mécanique par quelques titres soutenus ('Do Things My Way', 'Kiss Your Ass Goodbye', 'These Are the Times').
C'est une autre affaire pour ceux qui se sont intéressés à la carrière de Styx. Les "pro" Shaw/Young ne pourront qu'être satisfaits, mais ceux qui préféraient DeYoung ou qui, tout simplement, appréciaient Styx par la complémentarité de ses compositeurs seront probablement déçus d'un album certes honorable mais dans la moyenne d'une production pléthorique et dépourvu de la personnalité attachée au groupe. Lawrence Gowan fait ce qu'il peut pour faire oublier DeYoung sur les quelques titres plus calmes qui lui sont concédés, mais on est loin des ballades mélancoliques ou des chansons théâtrales de ce dernier. 'Fields of the Brave' et 'More Love for the Money' ressemblent à un effort destiné à se concilier la frange des fans pour qui un album de Styx se doit de contenir quelques ballades romantiques dont DeYoung a conservé le secret.
Si "Cyclorama" est finalement le plus cohérent de tous les albums du groupe, il est difficile d'y retrouver l'empreinte de Styx, aussi compliqué que sur "Edge Of The Century". La démonstration que Styx n'existe réellement qu'au travers de la collaboration, et souvent de l'opposition, entre Shaw et DeYoung.