"Black Holes And Revelations", quatrième album studio de Muse, marque un tournant dans l'évolution du groupe. Si celui-ci était progressivement passé sur les trois albums précédents d'un rock massif et direct à une musique toujours très sombre mais moins agressive, s'ouvrant à de multiples horizons, il franchit le Rubicon en donnant à ses compositions une tournure nettement plus grand public teintée d'une bonne touche électro.
Cette nouvelle orientation n'est pas, comme certains se sont complus à l'écrire, un sacrifice de la qualité au profit du tout-commercial. Muse ne vend pas son âme au diable et continue à avoir un don pour créer des mélodies qui ont le double mérite d'être immédiatement appréciables et de durer dans le temps grâce à la combinaison désormais classique d'un sens inné de la partition qui fait mouche, d'un équilibre parfait entre révolte et douceur, d'une multitude de variations dans les thèmes, tempos et nuances et de trouvailles sonores diversifiant les textures mêmes de la musique, le tout servi par une interprétation d'un charisme hors norme.
Simplement, le groupe s'est totalement extirpé de sa gangue, abandonnant la rugosité de ses débuts pour un rock plus mainstream, polissant son discours musical pour l'adapter aux goûts du grand public sans renoncer à l'originalité et la démesure qui le caractérisent, perdant un peu en spontanéité ce qu'il gagne en contrôle. Totalement décomplexé, si tant est que Matthew Bellamy et ses deux compères aient jamais eu de complexes, Muse n'hésite plus à laisser son inspiration vagabonder et explorer une grande diversité de styles. Loin du plagiat dont les mauvais censeurs l'accusent, Muse détourne les codes du rock pour en faire un melting-pot d'influences bien digérées.
Certes le résultat ne plaira pas à tout le monde. Entre les arpèges staccato de 'Take A Bow' ressemblant aux violons sur l'Eté de Vivaldi et la pop funky de 'Supermassive Black Hole' où Bellamy pastiche Prince, c'est le grand écart, et il ne s'agit là que de deux exemples pris au hasard, tant l'album tient du patchwork. L'exercice est difficile et peut-être que l'éventail de styles abordés est un peu trop large pour satisfaire pleinement. Ainsi, 'Take a Bow' ne décolle pas vraiment, 'Supermassive Black Hole' fait trop discothèque et l'ambitieux 'Knights of Cydonia' avec sa mélodie de western spaghetti, la rythmique donnant cette impression de galop soutenu et les chœurs murmurés et les nappes de claviers exprimant les grands espaces, n'est malgré tout pas très convaincant.
Mais l'album contient aussi des moments hauts en couleur. 'Map of the Problematique', 'Assassin', 'City of Delusion', 'Hoodoo' ressuscitent l'heureux mariage entre violence des sons bruts et sophistication des harmonies, puissance et douceur. 'Soldier's Poem' réussit l'exploit de fusionner, en deux minutes, la délicatesse d'un Jeff Buckley, des chœurs à la Queen et, le temps de deux mesures, l'Ave Maria de Schubert, sans que cela ne frise le ridicule mais se révèle, au contraire, d'une sensibilité à fleur de peau. Enfin, le mondialement connu 'Starlight' est le titre quasi-parfait, tube pop-FM à la mélodie imparable, au refrain entêtant, mais ornementé de subtiles variations propres à satisfaire les exigences d'un public moins mainstream.
Moins compact, plus touche-à-tout que ses prédécesseurs, "Black Holes And Revelations" est un album qui pourra séduire aussi bien les mélomanes avides de sensations originales que ceux qui préfèrent une plus grande immédiateté des mélodies. Muse continue sa mutation vers un rock extraverti et consensuel de grande qualité.