Le film ''Aguirre ou la colère de Dieu'' (1972) de Werner Herzog est devenu un classique du cinéma. Se déroulant au XVIème siècle, ce film conte les aventures d'une expédition espagnole à la recherche de l'Eldorado en pleine forêt amazonienne. Rebelle et exalté, Aguirre (en osmose avec son interprète Klaus Kinski) reprend les rênes de l'excursion et conduit ses malheureux compagnons d'infortune sur les chemins de la folie et de la mort. Outre la performance possédée de Kinski, le film a marqué son époque grâce à une somptueuse colonne sonore composée par le groupe Popol Vuh. Le groupe comptait deux membres permanents, Florian Fricke (l'un des premiers à explorer les capacités du Moog III) et le multi instrumentiste Daniel Fichelsteiner (batteur au sein d' Amon Düül II) auxquels se sont greffés des invités dont certains n'ont pas eu l'honneur d'être crédités. S'il en est à son premier coup d'essai cinématographique, ce groupe, dont le nom signifie en quechua le Livre du conseil (un recueil mythologique maya), a déjà composé six albums, dont le très remarquable ''Hosianna Mantra''.
Dans un premier temps, il est impossible de ne pas laisser les images nous envahir à l'issue de la première piste sobrement intitulée 'Aguirre I'. Le souvenir de ces conquistadors qui descendent d'une montagne enveloppée de frimas possède un statut d'icône cinématographique. Avec ses choeurs célestes, les légères modulations de son orgue et sa guitare discrète, ce titre sera décliné de trois manière différentes au fil de l'album, qui peuvent être vues comme trois étapes initiatiques : présentation, ascension (une guitare modifie la trame sonore et s'enchaîne avec le titre suivant 'Agnus Dei') et l'aboutissement de la quête. 'Morgengruss', titre rendu planant par l'apport de sa guitare psychédélique place le groupe aux côtés des deux bandes originales composées par Pink Floyd (''More'' pour le film du même nom paru en 1969 et ''Obscured by clouds'' pour le film 'La vallée', sorti en 1972). La piste contient également un remarquable solo de flûte de pan qui aurait gagné à être isolé sur une autre piste.
Pourtant, l'écoute de cet album peut s'effectuer au-delà des images du film, notamment par le soin apporté aux compositions plus particulièrement progressives. La piste 'Vergegenwärtigung', aussi longue que son titre (qui signifie visualisation), se prête très peu à l'illustration sonore d'un film et nous oriente davantage vers le travail expérimental de ses cousins germains Tangerine Dream et Klaus Schulze, développant une atmosphère pesante, minimaliste, à peine touchée du doigt par la guitare électrique et des choeurs lointains qui semblent immergés sous les nappes synthétiques. L'idée d'une initiation de l'auditeur par la musique est plus que suggérée. Certes, on pourrait accuser le groupe de se complaire dans le minimalisme et la redite, mais le retour des thèmes précédents s'apparente à l'acquisition d'une connaissance désormais maîtrisée.
Chacune des pistes recèle un caractère initiatique qui prolonge l'expérience au-delà du film. ''Aguirre'' est la première collaboration entre le groupe de Munich et le réalisateur Werner Herzog. Ce dernier, satisfait de la partition sonore, fera à nouveau appel à Popol Vuh pour enrichir musicalement son film documentaire ''Die große Ekstase des Bildschnitzers Steiner''.