Il faut bien l'avouer ! Si la vulgarisation des moyens techniques (home studio, banque de sons, …) permet à tout un chacun de se lancer dans la confection d'un album, l'offre pléthorique qui en résulte n'est pas toujours d'un niveau qualitatif satisfaisant. Nombre de musiciens en chambre se contentent bien souvent de plagier avec plus ou moins d'imagination leurs ainés, galvaudant les épithètes "progressif" ou "alternatif" qu'ils accolent à leur musique. Pourtant, il arrive parfois qu'au milieu de cette médiocrité ennuyeuse le chroniqueur chanceux découvre une gemme qui lui mette les sens en éveil. C'est d'ailleurs parce que ce miracle se produit régulièrement qu'il supporte avec persévérance le flot de musiques banalisées qui se déverse dans ses oreilles.
Seconds Before Landing fait partie de ces exceptions. Qu'il n'y ait pas de malentendu ! La musique qu'on découvrira sur le second album de ce groupe qui est avant tout un one-man band, celui du multi-instrumentiste américain John Crispino, est tout sauf consensuelle. C'est le prix à payer pour accéder à un peu d'originalité. La première écoute peut s'avérer déstabilisante, voire décevante, et seuls ceux qui feront preuve d'un minimum d'obstination finiront par être touchés par la grâce vénéneuse de cet album.
John Crispino a eu l'intelligence de s'entourer de nombreux artistes, ce qui étoffe sensiblement la palette de sons des onze titres proposés. Néanmoins leurs interventions parcimonieuses contribuent avant tout à enrichir une musique très intimiste à haute teneur anxiogène. Rien ne transparaît pourtant du voyage mortifère auquel vous convie John Crispino sur le titre d'ouverture. 'Big Train' est un morceau jazzy au rythme urbain de percussions façon tambours du Bronx associées à un sax alto de film noir. La répétitivité des motifs mélodiques, les percussions entêtantes et le chant sans âme ne dégagent aucune émotion particulière et génèrent même assez rapidement l'ennui.
'Hey Dad' correspond mieux ce qui va suivre. Ce rock torturé entre couplets mélancoliques et refrains révoltés rappelle un autre Hey, le 'Hey You' de Waters, tant par l'interprétation que par la thématique. Si les percussions ethniques et la mélodie orientale de 'Al Shaitan' sont plus lancinantes qu'hypnotiques, de même que les premières notes de 'My Perfect Girl', l'album bascule à la troisième minute de ce dernier titre, entrainant l'auditeur dans un univers funèbre et désespéré dont il ne sortira pas indemne.
Pourtant les procédés restent les mêmes : des rythmes hypnotiques, entêtants de répétitivité, des moyens minimalistes, des sons trafiqués, guitares saturées, voix vocodorisées, un chant monocorde. Mais, loin de provoquer l'agacement du début, la musique finit par s'insinuer dans vos synapses pour emplir l'âme d'une noire mélancolie. Il faut avoir un goût avéré pour le masochisme pour trouver du plaisir dans ces mélodies glaçantes et lugubres et je ne saurais que déconseiller l'écoute de ce disque à tous ceux dont le moral serait vacillant. Mais le poison que distille insidieusement cet album est une bien douce torture et reste le prix à payer pour trouver un peu d'originalité dans un paysage musical monochrome.
Le chant monocorde est tellement désincarné qu'il finit par en être touchant et la fragilité des nombreuses voix féminines (pleurs sur 'Don't Want to Feel This Way', chant élégiaque sur 'Silent Bird') ajoute à l'émotion. Une morne désespérance provoque simultanément trouble attirance et répulsion, on passe de l'agacement à une espèce de fascination morbide, de l'envie d'arrêter la musique à celle de s'immerger avec délice dans cette mélancolie hypnotique.
"Seconds Before Landing II" ne plaira pas à tout le monde, c'est certain. Il fait partie de ces albums dont la marginalité fait qu'on l'adore ou qu'on le rejette en bloc et il faut être dans la disposition d'esprit adéquate pour se lancer à l'assaut de ce sombre monument. Mais si vous trouvez que la production contemporaine ronronne, n'hésitez pas !