Les rares privilégiés qui eurent l'occasion de jeter une oreille sur "Sagan Om Ringen" à sa sortie ne se doutaient sans doute pas de la belle aventure à laquelle ils étaient conviés. Rares car ce premier album apparut d'abord sous la forme d'une cassette en 1981 avant d'être retravaillé pour sortir en vinyle en 1988. Belle aventure car les suédois d'Isildurs Bane vont faire preuve d'une étonnante créativité, n'hésitant pas à prendre fréquemment leur public à contre-pied.
Pourtant, "Sagan Om Ringen" ne laisse rien présager des chemins de traverse que le groupe va s'amuser à emprunter tout au long de sa carrière. Sans parler le suédois couramment, on comprend au titre de l'album qu'il s'agit là d'une variation inspirée du Seigneur des Anneaux de JRR Tolkien (Isildurs Bane étant d'ailleurs l'un des noms donné à l'Anneau). Néanmoins, autant l'atmosphère du livre est inquiétante, autant celle de l'album s'avère au contraire plutôt fraiche et pastorale. Une ambiance pour le moins anachronique pour un auditeur des années 80 où le progressif symphonique et folklorique grand teint de l'album, aux claviers et guitares chatoyantes de mille couleurs, représente un style banni depuis que les punks arborent leurs T-shirts barrés d'un "I hate Pink Floyd" rageur.
La Suède est peut-être passée au travers de cet âge sombre de la musique. Ou bien les musiciens d'Isildurs Bane avaient-ils suffisamment de personnalité pour ne pas succomber à un courant confondant parfois sophistication et embourgeoisement, simplicité et simplisme. Toujours est-il que "Sagan Om Ringen", entre notes cristallines, thèmes romantiques, symphonies pastorales, airs de contes de fées et mélodies médiévales, charmera aisément les amateurs des grandes formations des années 70. La douceur bucolique et les tournures très mélodieuses rappellent beaucoup Camel, le Genesis des débuts (sans la théâtralité de ce dernier) ou "The Geese And The Ghost" d'Anthony Phillips, dans une moindre mesure ELP ou Pink Floyd.
L'album n'est pas exempt de menus défauts et laisse place à quelques maladresses. Le chant, en suédois, manque de puissance et de charisme. Fort heureusement, Isildurs Bane privilégie souvent les plages instrumentales. Les gazouillis d'oiseaux qu'on entend çà et là sonnent un brin kitsch et le solo de batterie sur 'Moria' fait bien désuet.
Néanmoins, l'album s'écoute avec plaisir d'un seul trait, les morceaux le plus souvent enchaînés les uns aux autres n'étant guère dissociables. Isildurs Bane ne fait pas encore preuve de la belle originalité qui le caractérisera par la suite, et qui lui perdra par la même occasion une frange de ses fans de la première heure. Avec "Sagan Om Ringen", il se contente de puiser aux sources d'un prog symphonique old school fort agréable, ce qui n'est déjà pas si mal.