Chronologiquement, "Sagan om den Irländska Älgen" est le premier disque d'Isildurs Bane, bien que ce ne soit pas sa première œuvre, "Sagan om Ringen" qui le précède de deux ans n'ayant eu droit qu'à une diffusion sous forme de cassette et ne sortira sous forme vinyle qu'en 1986.
Bien des points communs lient ces deux albums. La forme du titre d'abord, le 'Sagan om' annonçant que le groupe va nous narrer à sa façon une histoire d'où les deux disques vont tirer leur forme conceptuelle. La nature de la musique ensuite, Isildurs Bane s'adonnant volontiers à un progressif symphonique pastoral où flûtes et guitares acoustiques ont la part belle. Pourtant, à y regarder de plus près, "Sagam om den Irländska Älgen", s'il s'inscrit dans la filiation de son prédécesseur, se pose également comme précurseur des albums à venir.
Côté filiation, la longue suite éponyme qui occupe les trois-quarts de l'album a troqué l'heroic fantasy du Seigneur des Anneaux pour le thème bien plus sinistre et contemporain d'une troisième guerre mondiale. Curieuse suite, d'ailleurs ! Rien n'indique que les six parties qui la constituent font partie d'un tout tant elles semblent indépendantes avec leurs césures bien nettes, et même parfois assez éloignées stylistiquement les unes des autres. Si on retrouve encore quelques incursions dans un folk médiéval un peu lénifiant ('Saga Eller Veklighet', 'En Vija Att Leva'), on leur préfèrera le prog majestueux et symphonique des titres d'intro et de fin. Quant au cœur de cette saga ('Ove P.' et 'Sex Minuter'), il a certainement surpris les auditeurs de l'époque, le groupe délaissant ses ambiances douces et old school pour un néo-prog teinté de classique qui multiplie les thèmes et les entrées d'instruments, faisant de ces deux titres de petites pièces complexes.
Les deux derniers morceaux de l'album consomment le divorce du groupe avec le prog doux et folklorique du disque précédent. 'Malboro Blues' est un jazz-rock avec une basse et un sax enroué qui assurent le show. 'Fredrik' délivre un progressif mature extrêmement mélodieux et aventureux, où chaque instrument fait sa petite entrée avant de croiser son successeur, avec de remarquables interventions du piano et du glockenspiel.
Le peu de rapport entre ces deux morceaux et le premier titre, ainsi que le côté hétérogène de la suite elle-même, donnent un caractère hétéroclite à l'album. Le groupe commence à déployer ses ailes mais, n'ayant pas encore complètement trouvé son style, part un peu dans tous les sens, combinant tour à tour le rock avec le folk, le jazz et la musique classique. Néanmoins, comme il s'avère doué dans des styles aussi disparates, Isildurs Bane réussit à nous faire passer un agréable moment avec ce nouvel album peut-être moins consensuel mais plus personnel que son précédent opus.