Depuis la sortie de "Duplicate" en 2003 les Pictaviens de Klone ont su maintenir leur niveau d’écriture, faite de technicité, de puissance et de mélodie, tout en suivant une évolution sans rupture avec leur propre nature. Cette trajectoire ascensionnelle débutée sur des inclinations extrêmes, autant dans les chants que dans les mariages stylistiques, a atteint des sommets avec le superbe "The Dreamer’s Hideaway" sorti en 2012. Le désir de travailler sur une plénitude émotionnelle et harmonique, et l’audace de toujours se remettre en question ont un temps dirigé le quintet vers un projet parallèle et acoustique nommé Here Comes The Sun. L’idée de ce groupe a été abandonnée mais pas son essence profonde. Elle constitue les données de base de "Here Comes The Sun".
Avec ce septième album Klone se met à nu comme jamais, affiche sa pureté sans pudeur et son touchant sans impétuosité. L’évolution est profonde, avec l’abandon du métal polymorphique au profit d'un rock plus brute qui dévoile l’authenticité de ce Klone captivant, mais en parfait accord avec sa personnalité. C’est sur un mode largement atmosphérique, souvent mis en avant dans les albums des français, que se transmet toute l’intensité émotionnelle et musicale dont le groupe est capable. Le Klone des années antérieures usait de la saturation et de la métrique pour amplifier la sensation de puissance, celui de 2015 domestique les tempos et contrôle les paroxysmes (les montées d’‘Immersion’ et ‘Grim Dance’). Le changement de paradigme porte Klone à se rapprocher des formations aptes à transmettre la mélancolie (Katatonia, Anathema ou Aeon Spoke) aussi bien que de l'esprit organique du post-rock le plus enivrant (‘The Last Experience’). Plus surprenante, l’étrange réminiscence du Police le moins reggae dans ‘The Drifter’ et ‘Gone Up In Flames’ donne une saveur pop qui se marie bien avec l’ensemble.
L’album est une succession d’ambiances toutes plus palpables les unes que les autres, un environnement musical presque matériel aux rendus brumeux qui enveloppe l’auditeur dans son impressionnante densité et génère un imaginaire baigné d’une lumière crépusculaire apaisante. Les textures se nourrissent d’arpèges et de sustain de guitares ou de trames de claviers pour installer un canevas sur lequel la délicatesse des nuances suffit à donner le relief nécessaire à l'expression de la mélodie et de la sensibilité ('Fog'). Un titre comme ‘Gone Up In Flames’, pourtant basé sur un seul riff assez rudimentaire, s’avère accrocheur et riche de contenu, et illustre la magique alchimie qui s’opère entre chaque détail. Dans cette approche le talent de Yann Ligner au chant et la finesse des musiciens, notamment dans le groove ('Fog') et les subtiles touches de piano (‘The Drifter’) ou de saxophone (‘Immersion’), font des merveilles.
L’immersion dans "Here Comes The Sun" n’est pas si aisée que le format invite à le laisser penser. Il faudra se donner le temps de la découverte pour démêler toutes les nuances et ne pas se perdre dans la grande homogénéité d’atmosphères. Les musiciens de Klone se sont engagés dans une démarche radicale qui en fera hurler certains, mais on ne pourra pas leur enlever l’authenticité de leur œuvre et leur générosité à transmettre les émotions. "Here Comes The Sun" est un pari artistique audacieux et le résultat est magistral.