Dire que l'idée de devoir décortiquer ce que je prenais a priori pour un énième surgeon de guitar hero m'enthousiasmait tiendrait de l'exagération superfétatoire tant je suis allergique à l'onanisme de certains virtuoses de la six cordes qui confondent prouesses sportives et plaisir. Oui mais, en fait de guitar hero, nous avons affaire à une guitar heroine, Cailyn étant le prénom de la talentueuse Cailyn Lloyd qui joue aussi bien des claviers que de la guitare, ce qui n'est pas peu dire. Est-ce dû à une sensibilité toute féminine ? Toujours est-il que les nombreux solos qui émaillent "Voyager" ne se contentent pas d'être purement démonstratifs et ne sacrifient jamais la musicalité sur l'autel de la virtuosité.
Entièrement instrumental, si l'on excepte la présence sporadique de voix célestes qu'on ne sait humaines ou de synthèse, l'album nous fait voyager musicalement à la suite des deux sondes américaines Voyager, chaque titre portant le nom d'une planète ou d'une lune, hormis le titre d'introduction baptisé 'Voyager' et les deux derniers, 'Pale Blue Dot' symbolisant la Terre et 'Heliopause' la limite où cesse l'influence du vent solaire (les astronomes me pardonneront ce raccourci simpliste).
Le thème s'y prêtant, Cailyn mélange à ses compositions originales la reprise de quatre des sept mouvements des "Planètes" de Holst ('Jupiter', 'Saturn', 'Uranus', 'Neptune'), une œuvre qui avait déjà inspiré Robert Fripp en son temps, se réappropriant "Mars" dans "The Devil's Triangle". L'interprétation est audacieuse : outre la substitution de claviers et guitares électriques à l'orchestre, de chœurs synthétiques aux chœurs humains, de la batterie aux timbales (Neil Holloman est d'ailleurs d'une présence remarquable sur tout l'album), les tempos sont accélérés, certaines mesures sont élaguées et les nuances sont sensiblement plus tranchées. Tout en respectant les lignes mélodiques, Cailyn transforme l'œuvre originelle en un rock moderne, dynamique et raffiné qu'il est bien difficile de distinguer de ses propres compositions.
Celles-ci alternent avec autant de bonheur mouvements amples et staccatos nerveux, piano mélancolique, nappes brumeuses de synthés et envolées lyriques de guitare, chœurs aériens et roulements furieux de batterie, nous faisant passer d'atmosphères éthérées dans lesquelles nous flottons avec extase au ballottement désordonné de brutales éruptions volcaniques ou de soudaines tempêtes astrales. Autant les quatre planètes de Holst sonnent très rock, autant la musique de Cailyn semble parfois très classique (le magnifique 'Pale Blue Dot' et son mélange de violoncelle, de piano, de guitare échevelée et de batterie fracassante en est le plus bel exemple).
"Voyager" prouve qu'il n'est pas besoin de titres longs pour faire du bon progressif. Loin des stéréotypes du guitariste nombriliste s'extasiant lui-même de sa propre célérité à faire courir ses doigts sur son manche, Cailyn réconciliera tous ceux qui appréhendent qu'une trop grande virtuosité cache mal un vide émotionnel abyssal.