Le métissage est quelque chose qui colle à la peau de Lenny Kravitz, que cela soit au niveau de ses origines, enfant d'un couple interracial, ou au niveau de ses influences artistiques mélangeant allègrement le Rock, le Funk, le Blues, la Soul voire le Hard et le Rock psychédélique. Maintenant le rythme d'un album tous les 3 ou 4 ans, qui est le sien depuis "Circus" (1995), voici donc sa nouvelle offrande discographique intitulée "Black And White America" qui, sans être un concept, n'en a pas moins le métissage comme fil conducteur. Car si l'enfant présent sur la pochette, qui n'est autre que Lenny Kravitz lui-même, n'a pas encore eu à affronter le racisme, cette plaie n'en est pas moins toujours présente dans la société américaine. C'est à l'occasion d'un reportage voyant certains de ses compatriotes parler de leur "dégoût pour les gens de couleur et pour le fait que l'un d'eux soit leur président", que l'artiste a décidé de mettre en chansons ce qu'il avait sur le cœur.
Il n'est pas particulièrement surprenant que le sujet ait inspiré le plus parisien des Américains, mais le fait que cet opus contienne 16 titres n'en est pas moins inquiétant car il est rarement facile de s'ingurgiter un pavé aussi copieux. Et effectivement, si la variété est encore une fois à l'honneur au niveau des styles abordés, elle l'est également en ce qui concerne la qualité, ce qui n'est finalement pas si étonnant que ça, d'autant que Lenny s'essaye au jeunisme en pactisant avec quelques artistes des scènes Rap et R'n'B pour un résultat loin d'être convaincant. Le fond du gouffre est atteint avec un 'Boongie Drop' coécrit et interprété avec Jay-Z et DJ Military et qui se révèle être un véritable furoncle putassier à côté duquel l'intervention de Drake sur 'Sunflower' paraît presque agréable. Voilà une ombre dont cet album aura du mal à se défaire d'autant que quelques titres se révèlent dispensables. C'est le cas de 'In The Black' qui manque furieusement de relief, de 'I Can't Be Without You' un peu lourdaud, de 'Life Ain't Never Been Better Than It Is Now', hommage à James Brown qui tourne rapidement en rond, ou de la ballade 'The Faith Of A Child', sympathique mais déjà entendue 1.000 fois.
Attention cependant à ne pas résumer cet album à ces titres ratés ou manquant de saveur car, comme à son habitude, Lenny Kravitz et son fidèle Craig Ross nous délivrent quelques perles nous transportant au travers de cet univers hybride qui est celui d'un artiste capable de rendre un superbe hommage à Martin Luther King avec un titre éponyme qui aurait pu figurer au générique de Shaft, doté d'un groove irrésistible porté par une basse slappant à tout va, avant de faire rouler ses muscles sur un 'Come And Get It' puissant au refrain direct et catchy. Difficile également de lui résister lorsqu'il se lance dans quelques démonstrations d'une Soul sexy en diable, utilisant une voix suraigüe sur un 'Liquid Jesus' hyper accrocheur, dégainant un refrain imparable sur un 'Superlove' délicieusement suave, ou rendant sa mélancolie envoûtante le temps d'un 'Looking Back On Love' au solo de claviers dantesque. En ajoutant à cela quelques Rock bien carrossés ('Rock Star City Life', 'Everything'), des titres d'une Pop positive et rafraîchissante ('Stand', 'Push'), et une belle ballade à l'émotion à fleur de peau ('Dream'), il y avait de quoi faire un album plus compact et efficace.
Avec ses qualités et ses défauts, "Black And White America" se révèle être un pavé inégal qui aurait mérité l'élagage de quelques titres inutiles voire ratés. Lenny Kravitz donne l'impression de s'être parfois laissé déborder par ses sentiments et par quelques velléités commerciales trop prégnantes. Ceci est d'autant plus dommage qu'il y avait là de quoi faire un opus incontournable s'il avait été plus compact et cohérent. Reste cependant quelques perles dont il serait dommage de se priver, d'autant que le thème récurrent de l'album mérite que l'on y porte un minimum d'attention.