Qu'ils ont dû être surpris, les adeptes d'Isildurs Bane, en découvrant le troisième opus de leur groupe fétiche ! Certes, "Sagam om den Irländska Älgen" avait entamé un léger mouvement s'écartant du progressif old school teinté de folk des débuts au profit d'une musique plus contemporaine mâtinée de jazz et de classique. Mais pas de quoi s'attendre à ce "Sea Reflections" sans point commun avec les deux albums qui l'ont précédé.
Au chapitre des différences, soulignons d'abord l'abandon du suédois au profit de l'anglais. Une évolution certes anecdotique mais qui indique, au-delà de la satisfaction du chroniqueur occidental plus à l'aise avec cet idiome qu'avec celui de la langue maternelle du groupe, la volonté de celui-ci de dépasser les frontières de son pays pour atteindre un rayonnement international. Le passage du suédois à l'anglais est d'autant moins significatif que simultanément Isildurs Bane renonce au chant : "Sea Reflections" est entièrement instrumental. Une sage décision en regard des capacités vocales limitées du groupe (une alternative aurait pu consister à renforcer l'effectif d'un "vrai" chanteur).
Mais la vraie révolution réside dans le style musical lui-même. Sur ses deux premiers albums, Isildurs Bane s'était fait le chantre d'un progressif rétro, un peu folk, un peu médiéval, plutôt bucolique et romantique. L'arrivée d'une section de cuivres menée par le saxophoniste Bengt Johansson (même si, à proprement parler, le saxophone n'appartient pas à la famille des cuivres) fait basculer la musique dans un style brass band d'où est exclue toute mélancolie.
Un titre sur deux ('Blizzard', 'Sea Reflections Part I', 'Poseidon', 'Top Secret-U.F.O.'), les sax, trompettes et trombones mènent le bal, entraînant l'auditeur dans des mélodies décontractées proches du générique d'une émission télévisée (on pense à celui de "Champs Elysées"). Si la présence des cuivres et d'une basse volubile se la jouant contrebasse pourrait évoquer un côté jazz, l'appartenance à ce genre musical est démentie par l'absence d'improvisations et de rythme ternaire. Seul 'The Story Of Chester & Sylvester' s'approche d'un style jazzy grâce à son jeu de cymbale.
Les trois titres rescapés ('Batseba', 'Sea Reflections Part II' et 'Bilbo') parleront plus à l'amateur de rock. La section des cuivres y est beaucoup plus discrète, voire absente, et l'on peut enfin profiter de beaux développements à la guitare, aux claviers et aux percussions, vibraphone et marimba apportant une touche originale fort agréable. Entre atmosphère mélancolique et emphase romantique, la musique retrouve le semblant de continuité et de cohérence qui fait défaut aux autres titres.
C'est cependant trop peu pour s'intéresser à un album plus proche de la musique d'ambiance que du rock progressif et "Sea Reflections" reste à ce jour l'album le moins convaincant de la discographie d'Isildurs Bane.