Troisième méfait des Suédois, "Opus Nocturne" marque d'une certaine manière pour ses auteurs la fin d'une époque, et doublement. D'une part, il est le dernier album à accueillir le chant de Joakim Göthberg qui ne tardera pas à être remplacé par Legion que d'aucuns considèrent comme La voix de Marduk, opinion que d'ailleurs, nous ne partageons pas, lui préférant Mortuus, son successeur depuis 2004, mais ceci est une autre histoire.
D'autre part, il clôt un corpus de trois albums qui, bien que désormais un peu oubliés, ont la faveur de certains amateurs qui aiment voir en eux une époque où le groupe, s'il n'est alors pas encore le panzer qu'il deviendra dans les années à venir, ne s'avère pas moins efficace et surtout plus simple et sans prétention. Tel est effectivement "Opus Nocturne".
Grâce au soutien de son nouveau label, Osmose Productions, et fort du succès rencontré par "Dark Endless" et plus encore par "Those Of The Unlight", Marduk accouche en décembre 1994 d'une nouvelle ode à la gloire des ténèbres, laquelle ne se distingue pas moins de sa devancière. Premier changement, loin d'être anodin, la seconde guitare a définitivement disparu avec le départ de Magnus 'Devo' Andersson, lequel reviendra certes au sein du groupe dix ans plus tard mais pour cette fois assurer les lignes de basse. Second changement, les compositions paraissent beaucoup plus travaillées, plus étoffées, gagnant en durée (la plupart d'entre elles oscillent entre 5 et 7 minutes) et ampleur.
Coutumier des entrées en matière brutales, Marduk nous gratifie pourtant pour la première fois de préliminaires. Bien que court, 'The Appearance Of Spirits Of Darkness' parvient avec un simple son d'orgue, à installer d'emblée un climat délicieusement sinistre. Puis les hostilités démarrent brusquement avec 'Sulphur Souls'. Le reste n'est cependant pas fait du même tonneau, de sang et de fiel.
Certes, pendant plus de quarante minutes, les Suédois tabassent nos cages à miel, imprimant une violence aussi vicieuse que barbare, seulement interrompue par le très bel éponyme et quasi instrumental, manière de (sombre) respiration avant l'assaut final ('The Sun has Failed'). Mais, véloces parfois ('Automnal Reaper'), le plus souvent lourds et reptiliens tels que 'Materialized In Stone', 'Untrodden In Paths', écartelé par une décélération implacable ou 'Deme Quaden Thyrane', ces morceaux ne s'embarrassent ni de fioritures ni d'esbroufe sans pour autant être avares en mélodie (tout est relatif, on parle de Marduk, quand même).
Là réside l'identité du groupe lors de ses vertes années, rapide mais finalement très heavy et presque accessible, loin de la froide bête de guerre qu'il sera plus tard. Témoignant de notables progrès en terme d'écriture, "Opus Nocturne" n'est donc ni sans qualité ni sans charme, celui typique de ces productions scandinaves de la première moitié des années 90, portant toutes l'incontestable griffe de Dan Swanö lequel, s'il ne leur conférait pas un son très puissant, compensait cette prétendue faiblesse par une espèce d'aura lugubre, par un feeling un peu sec qui leur donnait une âme. Reste qu'en jetant leur dévolu sur les Abyss Studios de Peter Tägtgren, le Black Metal des Suédois prendra une autre dimension à partir de leur album suivant, le matriciel "Heaven Shall Burn... When We Are Gathered"...