Auréolé de son premier succès au sein du tout nouvel label de Richard Branson Virgin Records, Mike Oldfield, selon la légende urbaine, se serait retrouvé face à un groupe venu pour sa première session d'enregistrement aux Studios The Manor tandis que le producteur Tom Newman gesticulait sous une table. Ni une, ni deux, c'est le jeune surdoué qui aurait enregistré la première partie de 'Nirvana for mice'. Ce groupe était Henry Cow, venu graver son premier album ''Legend'' ou ''Leg End'' (plus en accord avec la pochette représentant une chaussette).
Formé en 1968, par la rencontre entre deux étudiants d'un club de blues de l'Université de Cambridge, Fred Frith (violon, guitare) et Tim Hodgkinson (saxophone), le groupe a participé pour son premier baptème de l'air à un lever de rideau d'un concert de Pink Floyd au Collège Homerton le 12 juin 1968. Après une révision de l'effectif, le groupe se concentre autour de ses fondateurs, rejoints par John Greaves (basse), Geoff Leigh (flûte, saxophone) et surtout Chris Cutler (percussions). Le groupe montre un fort penchant pour le jazz à travers le prisme de l'école de Canterbury, et les expérimentations de Frank Zappa (''Absolutely Free'', ''Lumpy Gravy'', ''Uncle Meat''). Il se dote d'une conscience politique plutôt à gauche (voire à l'extrême) comme le prouvent les paroles de l'un des rares morceaux chantés de l'album 'Nine funeral of the citizen king' qui attaque à travers la métaphore le pouvoir capitaliste.
''Legend'' nous permet d'écouter des compositions ordonnées selon des structures complexes dans lesquelles le groupe ne dédaigne pas délaisser sa partition pour se lancer dans des improvisations vertigineuses et maîtrisées. Le premier morceau 'Nirvana for mice', après une ouverture dominée par les saxophones assourdissants et une basse ronflante, connaît une rupture rythmique radicale dans laquelle le saxophone prend son ascendant sur les autres instruments qui lui emboîtent le pas jusqu'à un crescendo dans lequel il se dédouble grâce aux deux instrumentistes. Le morceau se termine par un chant étrange, canterburien par excellence, dans lequel cette fois-ci le saxophone sert de vassal aux paroles.
'Teenbeat' divisé en trois phases, fonctionne dans sa première partie selon une logique de peau de chagrin, qui rappellera la seconde partie de 'Moonchild' de King Crimson, sous l'axiome des saxophones avant que les percussions n'invitent à prendre une vitesse de croisière. La seconde partie plus colorée se caractérise par ses ruptures emmenées par la guitare de Fred Frith et le jeu au carré de Chris Cutler. Enfin, sa reprise est plus énergique et ponctuée d'un solo de guitare de Fred Frith de grande envergure, qui se poursuit en fulminant en arrière-plan tandis que le tempo s'est ralenti. L'album est pourtant loin de s'apparenter à la prise de son d'un boeuf abstrait entre musiciens doués. Malgré ses structures complexes, le groupe est capable de créer des atmosphères tantôt chaleureuses (les premières mesures d' 'Amygdala' dominée par sa flûte) tantôt étouffantes ('The tenth Choffinch' qui débute de manière atmosphérique, avec un chant indistinct rappelant Gong et Frank Zappa avant de se nimber de ténèbres par la mainmise d'un violon sépulcral et des percussions fantomatiques de Chris Cutler).
Ce premier album montre que si Henry Cow est redevable de références diverses, il est aussi capable de s'en éloigner, conscient d'avoir déjà son propre style. Mais malgré ses qualités susdites, ''Legend'' n'y entrera pas. Par son approche anti-commerciale et ses doutes quant à la paupérisation des musiciens face aux maisons de disque, le groupe retardera la sortie de son second album. Henry Cow devient ainsi la fer de lance d'un mouvement qui prendra comme devise ''Faire du rock autrement en s'opposant à l'industrie du disque'' : le rock in opposition.