Si les sept ans qui séparent "Abnormal" de "Little Brother Is Watching" nous ont semblé une éternité, le temps n’a pas dû être vécu par Ron "Bumblefoot" Thal de la même manière tant celui-ci a multiplié les activités. Depuis la sortie de l’album des Guns N’ Roses "Chinese Democracy" en 2008 et les concerts qui ont suivis, Ron n’a pas chômé avec des participations diverses, des productions ("Guitars That Ate My Brain"), l’écriture de morceaux originaux et de reprises pour lui et d’autres artistes (Alexa Vetere et Poc). Il a également monté dernièrement le groupe Art Of Anarchy dont l’album devrait sortir en 2015. Pour son huitième album (sans compter les faces B et l’album de reprises acoustiques "Barefoot"), Ron est encore une fois très inspiré par le monde qui l’entoure.
En onze chansons immédiatement entêtantes et aux mélodies irrésistibles, Ron aborde de nombreux sujets avec un traitement différent de celui de d'habitude car sérieux, parfois grave et souvent émouvant. Le millésime 2015 nous balade notamment entre les affres de la maladie avec un punkisant ‘Clots’ qui fait la jonction avec "Abnormal", et l’original ‘Women Rule The World’, qui traite d’une certaine idée du féminisme, en passant par la foi (le complexe ‘Don’t Know Who To Pray To Anymore’ qui rappelle la noirceur des deux premiers albums de Ron) ou encore la surveillance généralisée dans notre société. Ce thème, qui fait référence à 1984, l’œuvre majeure de Georges Orwell, donne son titre à l’album et au morceau qui traite de la question avec bon sens et lucidité.
Même si "Little Brother Is Watching" n’est pas aussi expérimental et avant-gardiste qu’"Uncool", la trame classique couplet-refrain est souvent dépassée par ce que Ron appelle lui-même sa touche d’excentricité. Celle-ci est particulièrement audible dans le carnavalesque ‘Cuterebra’ qui décrypte le processus de la rumeur dans une version rétro pleine de variétés rythmiques et guitaristiques ainsi que dans la déferlante au riff gilbertien ‘Women Rule The World’. Les vieux réflexes de l’américain surgissent quand il s’agit d’agrémenter les chansons avec moult bruitages (grincement de porte et percussion avec les pieds dans ‘Little Brother Is Watching’) et autres délires, dont sa guitare est la première contributrice (la fretless et le tapping de refrain de ‘Women Rule The World’).
Le rendu de "Little Brother Is Watching" est le reflet d’un travail artisanal et pointilleux dans le studio personnel du fou génial. Globalement brut avec des sonorités sèches, une économie dans les effets, et quelques arrangements (‘Argentina’ et ‘Eternity’), le disque trouve ses profondeurs dans la maîtrise des très nombreux chœurs (‘Clots’ dont une partie est enregistrée parmi le public d’une des prestations de Ron) et dans l’utilisation variée des modalités acoustiques (le violoncelle de ‘Higher’). Le terrain est idéal pour Bumblefoot qui sait, par ses mélodies et ses harmonies vocales, apporter une dense émotion surtout quand les cadences ralentissent (‘Eternity’, ‘Livin’ The Dream’ et ‘Argentina’).
"The Adventures Of Bumblefoot" fut le seul album quasi-intégralement instrumental de Ron Thal et dès le caverneux "Hermit" c’est vers la composition de chansons qu’il se porta. Dans chacun des disques qui suivirent, la folie, la dissonance et la guitare démonstrative furent représentées à plus ou moins forte dose. Avec "Little Brother Is Watching", point d’interlude loufoque, de texte burlesque ou d’instrumental virtuose mais des compositions plus solides dans les constructions, les mélodies et plus longues qu’à l’accoutumée, dans lesquelles la vélocité du musicien est circonscrite aux stricts domaines des soli. Ce nouvel album montre un visage différent de Ron "Bumblefoot" Thal, beaucoup moins barré mais irrésistible avec cet imparable "Little Brother Is Watching" enthousiasmant de bout en bout.