Le sixième album des suédois d'Isildurs Bane est celui tant attendu que les qualités sous-jacentes du groupe nous promettaient depuis quelques années. Marchant dans les traces de leur disque précédent, Isildurs Bane renoue avec ce mélange savamment dosé de rock progressif raffiné et de musique classique plus ou moins contemporaine qui lui a si bien réussi sur "Cheval - Volonté de Rocher".
Le groupe n'hésite pas à nous proposer un double album, prenant le temps de développer les thèmes comme ils le méritent. "The Voyage – A Trip To Elsewhere" nous invite, comme son titre l'indique, à une somptueuse promenade pour un ailleurs indéfini où l'esprit ne demande qu'à s'évader. Les treize titres de durées très inégales (de 1'59" pour le plus court à 17'45" pour le plus bavard) peuvent être regroupés en trois catégories : les fresques imposantes, les miniatures intimistes et les morceaux choraux.
La première catégorie regroupe les titres les plus impressionnants et les plus longs de cet album. "The Adventure Of The Whirling Delerium", "A Telescope And A Hot Air Balloon", "Wild As A Toad" et "Magnificent Giant Battles" sont quatre expressions d'une même fusion idéale du rock et du classique. Isildurs Bane et The Zorn Trio (piano, violon, violoncelle) qui sont leurs invités se fondent dans une osmose parfaitement équilibrée, offrant un véritable festin au mélomane friand de délicatesse et complexité. Les deux ensembles mêlent ou alternent leurs interventions, juxtaposant moult petits thèmes exécutés par une panoplie étourdissante d'instruments électriques et acoustiques et interprètent une musique contemporaine envoûtante et dynamique d'une grande sensibilité, alternant moments légers, romantiques, graves et inquiétants Ce n'est pas de la musique classique (même si l'esprit de Schubert et de son trio "La Jeune Fille et La Mort" hante la partie centrale de "Wild As A Toad"), ce n'est pas du rock progressif, c'est totalement original et beau (seuls ELP sur "Pictures At An Exhibition" et Kotebel s'approchent d'un tel résultat).
Les miniatures intimistes sont regroupées sous le nom générique de "Picassiette" et nous invitent à trois promenades centrées sur un piano lent et délicat dont les mélodies mélancoliques rappellent celles d'Erik Satie et qu'accompagnent en filigrane flûtes et percussions ('First Walk'), saxophone et violon ('Second Walk') et claviers électriques ('Third Walk'). Les morceaux choraux sont quant à eux baptisés 'La Sagrada Familia' (décidemment, l'architecture est une source d'inspiration inépuisable pour Mats Johansson, le compositeur du groupe) et évoquent divers moments de la journée. Interprétés par l'Halmstad Vocal Ensemble, accompagné pour l'occasion de flûtes et percussions, ils hésitent entre chants de Noël et cantiques religieux. Enfin, deux titres échappent à la logique de cette trilogie : 'Das Junkerhaus', jazz rock au saxophone envoûtant, et le majestueux 'Nimis' porté par le jeu tout en nuances de ses claviers.
Malgré cette hétérogénéité apparente, "The Voyage – A Trip To Elsewhere" est d'une grande cohérence, les différents univers qu'il nous fait visiter s'imbriquant élégamment en évitant toute lassitude. L'écriture s'avère plus mâture que sur "Cheval - Volonté de Rocher", plus sombre également. Excellent de bout en bout, cet album nécessite cependant de la part de l'auditeur une sensibilité à la musique classique pour être apprécié comme il se doit.