Un an après "2122", qui avait lancé le groupe autour de son trio permanent, Geddy Lee à la voix et à la basse, Alex Lifeson à la guitare et Neil Peart à la batterie, Rush poursuit sur sa lancée avec "A Farewell To Kings". Est-ce que le groupe prometteur saura faire mieux que son précédent opus ou fera-t-il ses adieux à la gloire ?
De soigneux arpèges de guitare acoustique ouvrent la piste éponyme, qui rappelleront celles sinueuses de Steve Howe sur 'The Clap'. Ces derniers seront ensuite suivis d´abord en parallèle par un mince filet de synthétiseur, qui finira par confluer avec la guitare avant d'ouvrir le feu électrique. En moins de deux minutes, Rush a planté le décor et nous offre, en outre d´un aperçu de son savoir-faire, un son emblématique qui se développera au fil des albums. L´arrivée de la voix puissante de Geddy Lee, pas forcément agréable pour toutes les oreilles, renforce à nouveau les similitudes avec Yes, sans toutefois réduire ce dernier à un clone Hard-Rock, loin s´en faut. Les paroles révélant une volonté générale de tourner le dos à la corruption patente du monde symbolisée par une monarchie de cire (Scheming demons dressed in kingly guise) afin de mieux se rassembler (Can´t we find the minds that made us strong ?) pourraient être encore d´actualité.
L'album s´articule autour de deux grands ensembles. Le premier, 'Xanadu', qui deviendra un classique du groupe, relate la quête d´un narrateur sur les pas de la mythique cité mongole (qui donnera son nom à la propriété de Charles Foster Kane, dans le Citizen Kane d´Orson Welles) et sa déception, prisonnier de sa réussite. Le morceau passe de la quiétude, toutefois sous l'emprise de la menace sourde de sa longue introduction (plus de cinq minutes), à une éruption volcanique qui culmine lors des couplets énergiques. Pour enregistrer ce morceau compliqué, le groupe a dû redoubler d'efforts en s'armant d´instruments supplémentaires (tour à tour, Geddy Lee et Alex Lifeson s´occuperont des synthétiseurs, Neil Peart du glockenspiel).
'Cygnus X1' qui clôt l´album fait à nouveau la part belle à la science-fiction avec l´évocation d´un trou noir mortel qui aspire le protagoniste. Dans la première partie du morceau, le groupe met en avant une partition d'apparence minimaliste mais très alambiquée, notamment grâce au jeu magistral de Neil Peart. On peut voir dans ces arpèges de guitare une ébauche, dans une moindre mesure de sa suite sur "Hemispheres", des expérimentations sonores de 'La Villa Strangiato'.
En complément, l'album contient des pistes qui ne cultivent guère de fleurs Hard-Rock. Si la ballade 'Closer To The Heart' entrera dans les charts anglais, on lui préfèrera la chaleur de l'étincelant 'Madrigal', rafraichissante et humoristique pause avant le trou noir.
Sorti en 1977, au moment de la folie punk qui allait prendre à la gorge le Swinging London, Rush poursuit son chemin en proposant sa formule de Hard-Rock progressif, aidé par le talent de ses trois musiciens et des textes très littéraires. Un album à écouter sous tous les hémisphères.