Après un "Coal" cryptique aux atmosphères sombres et poisseuses, Leprous semble conserver la même noirceur si on en juge par la pochette de "The Congregation", bien loin des couleurs vives et florales qui accompagnaient l'iconographie des norvégiens. En interne, la stabilité du groupe est bouleversée avec, pour la première fois, un changement au niveau de la précieuse section rythmique du combo. Dans la composition aussi, la cohésion n'est plus la même car, cette fois-ci, l'accouchement de cette créature musicale monstrueuse est issue d’une démarche solipsiste d’Einar Solberg qui s'est appuyé sur la haute technologie informatique.
"The Congregation" déverse un contenu dense duquel a du mal à émerger la dose de folle excentricité que le groupe avait si génialement l'habitude de proposer dans ses premiers albums en jouant sur les styles et les reliefs. Les modèles présents ont plus à voir avec ceux de "Coal", à savoir une mise en perspective par contrastes, pas toujours en fluidité, d’une matière musicale terne et de parties vocales très mélodiques. Le bâti des morceaux est pris en charge par une débauche rythmique, dans des modalités épileptiques et syncopées ('The Price' ou 'Third Law') qui tranchent relativement avec les métriques lentes de "Coal", et par une utilisation débridée des synthétiseurs laissant aux guitares, souvent jouées en tremolo picking, les seconds rôles.
"The Congregation" est impressionnant aussi bien dans les riches harmonies et mélodies que dans les intentions d'une grande justesse, qu'elles soient dramatiques et plaintives ('Third Law'), possédées ('Rewind'), mélancoliques ('Moon' et 'Slave') ou colériques ('Rewind' et la fin de 'Slave'). Dans son approche solitaire, le chanteur porte une grande partie de sa
créativité sur ses propres performances et insiste moins sur l'inattendue
variété progressive qui constituait l'attrait pour la musique de Leprous. Les morceaux tendent globalement vers les formats chansons péniblement étirés par des parties instrumentales prévisibles sous forme de pont souvent dynamiques mais construits sur le même standard, dont les développements sont rarement évolutifs.
C'est principalement dans les textures de claviers et les effets électroniques que le compositeur puise son matériau musical, offrant du même coup l'enrobage idéal pour mettre en avant ses vocalises. Les guitares 7 et 8 cordes ainsi que les bruitages presque indus amplifient l'impression malsaine qui entoure certains titres comme 'Red' et le sommet de l'album 'The Flood' et brouillent la frontière entre l'inertie de la machine et la palpitation du vivant. Quand on sait, de l'aveu même de Einar, que c'est le trip hop de Massive Attack qui l'a inspiré pendant ses séances nocturnes d'écriture on comprend mieux l'origine des motifs répétitifs autour desquels s'articulent nombre de titres de "The Congregation". A de rares occasions, Einar s'échappe de ce carcan pour aller vers des arrangements plus symphoniques ('Moon'), des percées plus lumineuses ('Down' et 'Within My Fence') ou progressives (‘Rewind’).
L’expérience "Coal" n’aura pas été qu’une simple courbe dans le parcours de Leprous mais un véritable tournant faisant table rase d’une partie de l’héritage de leurs trois premiers disques brillants de créativité. Si Einar Solberg avait l'ambition initiale d'aller droit à l'essentiel, les morceaux auraient gagné à être allégés de certains passages n'offrant rien d'original, pis, marquant l'impression d'ennui qui se dégage à de trop nombreuses occasions. En essayant de faire fi du Leprous des débuts, le constat est malgré tout réservé quant à la capacité du groupe (d'Einar) à proposer une musique exigeante qui transcende la simple virtuosité vocale sur tout un album, et l'essoufflement de la seconde partie de "The Congregation" en est la démonstration. Le groupe aurait intérêt, quelle que soit la direction empruntée à l'avenir, à renouer avec l'altérité et la diversité dans lesquelles il excellait, et probablement à retrouver une écriture collégiale.