Dire que nous attendions avec une (très) grande impatience ce "Middle Of Nowhere, Center Of Everywhere" tient du doux euphémisme. Dix ans, tunnel sans fin le séparant de son prédécesseur ("III"), c'est long, forcément trop long, quand bien même les Américains ne nous ont jamais habitués à un stakhanovisme effréné, si ce n'est peut-être à leurs débuts au milieu des années 90 et encore.
Heureusement, le trio a su se faire pardonner cette abstinence en venant honorer sur scène la déesse Doom et le sacro-saint Riff, avec Carlton Melton (en 2011), Spirit Caravan (en 2014) et bientôt avec Black Cobra et Dopethrone, toujours dans le cadre béni des Stoned Gatherings, devenu en l'espace de quelques années le lieu de communion incontournable de tous les amateurs du son velu. Les intéressés se reconnaîtront.
Si le trio n'est jamais aussi bon que face à un public tout acquis à sa cause, dans l'ambiance étouffante et poisseuse d'une petite salle enfumée et s'il pourrait très naturellement se contenter de cette activité scénique sans que cela n'altère en rien son aura culte, bien au contraire, le voir enfin revenir avec un quatrième album (seulement) sous le bras est une bonne nouvelle. Que celui-ci scelle une alliance avec Svart Records en est une deuxième. Qu'il soit très bon en est une dernière. Mais cela, on s'en doutait déjà.
Pourquoi ça ? Parce que Lori, petit bout de femme charismatique, chanteuse et guitariste au long cours, est de ces musiciens qui ont le Doom chevillé au corps, enfants spirituels du grand Sabbat Noir. Figure respectée et passionnée de la chapelle Stoner, la belle ne ment pas, usinant des riffs gros comme des câbles à haute tension, socle terreux que survole son chant qui sent bon la fumette et la bière, lassant parfois mais qu'on n'imagine pourtant pas autrement qu'en apnée.
"Middle Of Nowhere, Center Of Everywhere" n'invente peut-être rien mais il existe, il est là, cela nous suffit. Encadré par deux courtes pistes instrumentales, intro et outro qui pour une fois se justifient par leur ensorcelante beauté, le menu agglomère six titres, six pavés au tempo somnambulique où tout n'est que lourdeur tellurique. Le power-trio prend son temps, ouvre grand le barrage déversant une tonne de plomb avec sa manière sentencieuse et si personnelle. Plus qu'un disque, il s'agit d'une cérémonie, rituel pétrifié qui dès l'immense 'Silent Pictures' envoûte avant de laisser ses successeurs attirer le pèlerin dans les arcanes de la terre.
L'ensemble sonne malgré tout moins gras et heavy que "Zoroaster" ou "Busse Woods" mais au contraire (un peu) plus cosmique. L'âge peut-être... Ce qui n'enlève rien à son orgasmique réussite. Combien temps devrons-nous patienter pour découvrir le prochain opus du trio ? Nul ne le sait et peu importe au final. Acid King n'est de toute façon pas prêt de raccrocher...