Peu de temps après la sortie de leur dernier opus, "The 2nd Law", les membres de Muse affirmaient leur intention de revenir à une musique moins sophistiquée pour leur prochain album, un retour vers un rock plus direct et dépouillé s'appuyant sur la trilogie guitare/basse/batterie. Besoin de se ressourcer ou réponse à certaines critiques fielleuses ? Le groupe ne le dit pas. Mais, même si "Drones" possède un son plus brut que ses prédécesseurs, il est loin d'être un "simple" album de rock. Décryptage.
La première écoute de "Drones" risque de provoquer un choc si vous faites partie de ceux qui ont découvert Muse au travers de leurs titres FM et qui n'ont pas remonté leur discographie plus loin que "Black Holes And Revelations". La surprise sera moins grande pour ceux qui avaient déjà pu apprécier l'énergie électrique du groupe sur "Showbiz" et "Origin Of Simmetry", bien que "Drones" ne soit pas non plus une resucée de ses deux premiers disques. Mais dès l'introductif 'Dead Inside', Muse plonge l'auditeur dans un univers de violence et de noirceur : batterie de plomb, basse grondante et inquiétante, guitares rageuses et volontiers saturées vous cueillent à froid, avant que 'Psycho' et ses riffs hard rock ne vous envoient au tapis. Et n'espérez pas souffler ! Impitoyablement, Muse va maintenir une chape de plomb sur les trois premiers quarts de l'album. La musique est sombre, écrasante, dramatique, les frappes de la batterie sont intentionnellement lourdes, les guitares semblent vous en vouloir personnellement. Seul le chant de Matthew Bellamy conserve un côté aérien malgré la gravité des propos (nous y reviendrons), s'élevant parfois dans des aigus douloureux. Les claviers, eux, sont quasiment absents.
En s'éloignant des critères standards du rock FM, Muse prend un risque, certes limité, mais courageux. Car si 'Dead Inside' inonde déjà les ondes et que 'Mercy' pourrait le faire sans problème, le côté Queen-like de ces deux titres aidant à provoquer un réflexe pavlovien de satisfaction chez l'auditeur lambda, 'Psycho', 'Reapers', 'The Handler' ou 'Defector' s'adressent à une frange d'amateurs d'un rock plus dur, plus percutant. Les sons saturés ou stridents, les cris, les sirènes, les distorsions qui émaillent ces morceaux sont autant de freins à une large diffusion radiophonique qui prouvera, si elle a lieu, l'immense aura de ce groupe hors norme sur le grand public.
Il faut dire que le concept de "Drones" n'est pas des plus réjouissants. En effet, "Drones" est un concept-album, ce qui l'éloigne sensiblement du rock simple et direct souhaité par ses géniteurs. Deux titres parlés ('Drill Sergeant', dialogue musclé entre un instructeur et une recrue, et 'JFK', discours de Kennedy) viennent même renforcer l'impression de continuité entre les morceaux. Les drones ne sont pas seulement des engins pilotés à distance mais, métaphoriquement, des êtres humains "pilotés" par d'autres êtres humains, eux-mêmes "asservis" à d'autres encore plus puissants, et utilisés comme autant d'armes contre l'humanité. On suit les péripéties du héros, de son conditionnement à sa prise de conscience et à sa révolte, avant que ne survienne l'holocauste, l'album se clôturant sur un requiem.
Car la fin de l'album est bien plus apaisée que son début, à tel point que la différence d'ambiance entre les trois derniers titres et tout ce qui précède donne l'impression d'avoir changé de disque. Tout jusqu'à 'Revolt' est d'un bloc, dense, lourd et sombre, véhiculant des sentiments de peur, d'angoisse, d'oppression en relation avec la thématique de l'album. Puis, après un titre-transition ('Revolt') qui associe un couplet cohérent et un refrain étonnamment gospel, Muse enchaîne subitement trois titres doux et anachroniques : un slow très Musien ('Aftermath'), un long triptyque ('The Globalist'), juxtaposition d'un air de western spaghetti, d'un centre cataclysmique et d'une fin piano/voix inspirée de la musique classique (une œuvre d'Edgar) et pour finir, un second emprunt au répertoire classique d'un chant liturgique a cappella (et à plusieurs voix) interprété par Bellamy ('Drones').
Certes, la musique suit l'histoire : après l'asservissement, la violence, la contrainte et le meurtre viennent la révolte, la liberté, l'amour, puis l'anéantissement et la mort. Mais la cassure est un peu surprenante et sort brutalement l'auditeur du cauchemar où le groupe avait si bien su l'entrainer. Car, nonobstant ce défaut mineur, Muse délivre une fois de plus un album haut de gamme où l'on retrouve tout ce qu'on aime chez ce groupe : une puissance phénoménale, un charisme hors norme, une interprétation irréprochable, un sens inné de la composition et un subtil dosage entre rock mainstream et audacieux. Avec "Drones", Muse arrive à se renouveler tout en se restant fidèle. Alors, n'hésitez plus, courez vous le procurer !