Paru deux ans après le chef d'œuvre que constitue "The Voyage – A Trip For Elsewhere", "Lost Eggs" ne s'inscrit pas dans la continuité de son prédécesseur mais offre au contraire un coup d'œil dans le rétro sur la progression d'Isildurs Bane. L'album est en fait une compilation de titres inédits couvrant la période allant de 1976, genèse du groupe, à 1993.
Même à l'aveugle, il est facile de raccrocher chaque titre à la période de sa conception. Le style d'Isildurs Bane a fortement évolué depuis sa création : du rock symphonico-folklorique des deux "Sagan" ("Sagan om Ringen" et "Sagan om den Irländska Älgen") au progressif classicisant des deux derniers albums ("Facteur – Volonté De Rocher" et "The Voyage" déjà cité), en passant par le brass band clinquant de "Sea Reflections" et "Eight Moments Of Eternity" (chez Isildurs Bane, la révolution des cycles a lieu tous les deux disques), les ruptures sont franches. A tel point qu'on peut adorer l'une de ces paires et en détester une autre.
Autant prévenir tout de suite : ceux pour qui le charme aura opéré sur les deux derniers albums risquent fort d'être déçus. Il n'y a pas trace dans cet opus du mélange de classique et de prog aventureux dans lequel le groupe réussit pourtant si bien. Les fans de la première heure sont mieux lotis. Il leur suffit de se fier aux titres en suédois, Isildurs Bane ne s'étant converti à l'anglais qu'à partir de "Sea Reflections", pour dénicher des morceaux plutôt doux où guitares acoustiques et flûtes bucoliques font bon ménage avec les développements cristallins des claviers. Les quelques titres chantés prouvent à quel point Isildurs Bane a bien fait de s'adonner par la suite au tout instrumental, les prestations vocales n'étant décidément pas leur point fort.
Attention quand même aux pièges. Si 'Delfinernas Trädgard' et 'Bäcka Bocken' sonnent plus suédois qu'anglais, nul doute cependant qu'ils aient été composés durant la période charnière entre "Sagan Om Ringen" et "Sea Reflections". Ils ont en effet les mêmes qualités et défauts que les titres aux consonances résolument britanniques ('Second Steps', 'Happy New Ear', 'Brazil Jack' et 'Top Secret') : la maestria est remarquable mais la qualité mélodique s'en ressent un peu, la musique est plus d'ambiance que sensuelle. Enfin, 'Morfar' et 'Looping', compositions les plus récentes, attestent de la plénitude que le groupe a su atteindre sur ses derniers albums.
Si ces deux derniers se marient assez bien avec les titres les plus anciens, on ne peut pas en dire autant du mélange folk/symphonique et brass band/jazzy/grande variété. La disparité des styles est trop flagrante et même les auditeurs les plus conciliants, sensibles aux deux écoles, pourront trouver la juxtaposition artificielle. Néanmoins, si l'hétéroclite "Lost Eggs" s'écoute gentiment, il semble un peu amateur en regard des deux monuments qui l'ont précédé.