Maintenant un rythme annuel de sortie d'albums, les Australiens de Cold Chisel sont de retour avec leur troisième opus à la pochette pour le moins surprenante. En effet, celle-ci voit Jimmy Barnes remplacer Marat dans une adaptation photographique du tableau de Jacques-Louis David: La mort de Marat. Bien que le quintet soit régulièrement en révolte contre de nombreuses injustices de notre société, il n'en est pas moins difficile de faire un lien avec le titre de cet album ("East") et avec son contenu. Peu importe en fait, le plus important étant la musique pour laquelle Don Walker et sa bande ont mis le paquet afin de lui offrir l'écrin qu'elle mérite. En effet, la production a été confiée à l'étoile montante du pays des kangourous, à savoir Mark Opitz qui vient de travailler avec The Angels en particulier.
Celui-ci donne enfin le son adéquat au rock multi-facette de Cold Chisel, permettant à chaque instrument de s'épanouir dans un équilibre parfait. Le producteur s'investit également dans la vie du groupe, le protégeant des interférences pouvant venir de l'extérieur en limitant l'accès du studio Paradise aux membres de la formation et à leurs proches, ainsi qu'aux techniciens habilités. Il encourage également Don Walker à déléguer un peu la composition à ses camarades de jeu, permettant ainsi à chacun d'écrire au moins un titre pour ce nouvel opus. La pression découlant de la recherche d'un succès commercial est donc en partie jugulée, tout en étant partagée de manière plus équitable.
Et le résultat se montre à la hauteur, Cold Chisel réussissant la gageur de se faire plus accessible d'un point de vue commercial, sans pour autant y perdre son identité. Les Rock sont toujours aussi accrocheurs et entraînants, qu'ils traitent de sujets légers tels que la perte d'une petite amie ('Rising Sun') ou de thèmes plus graves comme la pauvreté ('Standing On The Outside'), avec des structures simples et efficaces ('Cheap Wine') ou avec des changements de tempo mélangeant des refrains cinglants et des ambiances variées ('Tomorrow', 'My Turn To Cry'). L'humour est même de mise avec cet hommage à la célèbre journaliste Ita Buttrose ('Ita'). Fidèles à leur liberté artistique, les Australiens intègrent quelques éléments flirtant avec le reggae ('Never Before', 'Best Kept Lies'), les alternants parfois avec des refrains traduisant la violence du sujet ('Star Hotel' traitant des affrontements ayant eu lieu à Newcastle lors de la fermeture de ce lieu culte). Enfin, côté douceurs, si 'My Baby' se veut léger avec son solo de saxophone et son mid-tempo simple et efficace, 'Choirgirl' traduit l'émotion des conséquences de l'avortement dont il traite, alors que 'Four Wall' se fait aussi épuré et triste que les murs d'une cellule dans laquelle le personnage s'exprimant a atterri après avoir participé aux célèbres Bathurst Gaol riots.
Après un premier album mettant le groupe sous les projecteurs, et un second opus dont le handicap constitué par une production un peu à côté de la plaque n'a pas empêché un premier succès commercial, Cold Chisel frappe fort. Réussissant le parfait équilibre entre un accès plus facile et une identité toujours pleinement assumée, le quintet s'impose comme l'un des nouveaux leaders du rock australien. En canalisant une créativité presque sans limite sans jamais l'étouffer, ce nouvel opus permet au contraire au talent de chaque musicien de s'épanouir, que cela soit au stade de la composition ou à celui de l'interprétation. Voilà un premier sommet qui en appelle d'autres dans la carrière de ce groupe aussi attachant qu'authentique et talentueux.
NB: A noter une réédition de 1999 bénéficiant de 3 titres bonus qui en justifient l'achat.