En cette fin des années 80, Simple Minds a le vent en poupe, même si son duel amical avec U2 tourne clairement à l'avantage des Irlandais. Il n'empêche qu'avec "Once Upon A Time" (1985) et "Live – In The City Of Light" (1987), les Ecossais ont marqué leur territoire en imposant leur mélange de Rock, de Pop et de New Wave. Alors que U2 vient d'enchaîner deux cartons interplanétaires avec "The Joshua Tree" (1987) et "Rattle And Hum" (1988), le nouvel opus de la bande de Jim Kerr et Charlie Burchill est attendu avec impatience. Pour être à la hauteur du défi, ces derniers n'hésitent pas à embaucher les producteurs Trevor Horn et Stephen Lipson, le premier cité transformant en or tout ce qu'il touche à cette époque (Propaganda, Frankie Goes To Hollywood, Pet Shop Boys, etc…). Cette collaboration va pourtant entraîner de fortes tensions qui déboucheront sur la mise à l'écart partielle de Mel Gaynor (batterie) et John Giblin (basse) qui ne sont finalement crédités qu'en tant qu'invités. Suppléé par des pointures telles que Manu Katché et Stewart Copeland (Police), le premier (Mel Gaynor) réintégrera rapidement le line-up officiel, ce qui ne sera pas le cas du second (John Giblin) remplacé par Steve Lipson lui-même en cours d'enregistrement.
L'autre conséquence de l'ambiance au sein de l'équipe durant l'enregistrement, est l'affirmation de la prédominance de Jim Kerr et Charlie Burchill comme leaders de la formation, seul Michael MacNeil réussissant à s'imposer dans le processus de composition. Mais même s'il fut accouché dans la douleur, ce nouvel opus n'en est pas moins un véritable chef-d'œuvre, surprenant pourtant tout le monde en raison de l'évolution artistique qu'il représente. En effet, dès les premières notes du titre éponyme, l'ambiance est campée : introduction calme à la contrebasse, sonorités aériennes, chant posé et profond, guitares lumineuses et structure flirtant avec le progressif par de légers changements de thèmes. Nous sommes bien loin des titres à l'accroche immédiate des précédents albums. Traduisant une introspection de la part de ses auteurs, l'ambiance reste globalement dans les critères définis par cette entrée en matière, et même les titres les plus dynamiques n'échappent pas à des changements de tempo et à des breaks leur empêchant de se révéler évidents dès la première écoute ('Wall Of Love', 'Kick It In').
Si 'Oh Jungleland' ("Once Upon A Time" – 1986) ou la reprise du 'Sun City' de Steven Van Zandt sur le dernier live, révélaient déjà un groupe engagé et contestataire, cette composante est ici complètement assumée, traitant du conflit nord-irlandais au travers d'un 'Belfast Child' reprenant la mélodie du chant traditionnel 'She Moved Through The Fair' tout en modifiant les paroles. L'Apartheid est également abordé sur un 'Mandela Day' à la structure simple et répétitive et au refrain scandé provoquant un début de transe, ou avec la reprise du 'Biko' au refrain obsédant de Peter Gabriel. L'utilisation de nombreux instruments folkloriques se révèle également un moyen d'assumer une force tranquille préférant les envolées de claviers et l'apport de la voix profonde de Lou Reed ('This Is Your Land') aux démonstrations techniques superflues. L'élévation spirituelle est favorisée par de longues plages atmosphériques et mélancoliques ('Let It All Come Down') ou entremêlant claviers, guitare, basse et violon ('This Is Your Land'), l'ensemble prenant même fin sur un instrumental porté par des cornemuses.
Si chaque titre mérite que l'on s'y attarde, il est impossible de se lancer dans une analyse détaillée sans devenir rébarbatif, sentiment qui ne traduirait pas la qualité de cette œuvre. Simple Minds touche ici au sublime tout en prenant le risque d'un éventuel échec commercial pour favoriser son épanouissement artistique. Chaque écoute apporte son lot de découvertes tout en continuant à bercer l'auditeur dans un savant mariage de mélancolie, de douceur et de résilience. Voici une aventure dont il est difficile de revenir sans ressentir à la fois un bonheur apaisé et un appétit de découverte et de partage.