Avec "Hooked" (1991) et "Psycho City" (1992), Great White vient d'enchaîner deux monuments imposant un style personnel et totalement assumé. Le dernier nommé enfonçait d'ailleurs le clou en proposant des titres dont le format longue durée les mettait hors-jeu pour envisager des programmations sur les bandes FM. Alors que le poste de bassiste change encore de titulaire avec l'arrivée de Teddy Cook (Dio, Rondinelli, Virgin Steel) à la place de Dave Spitz, le quintet américain nous revient avec un nouvel opus qui, encore une fois, ne fait pas dans le format commercial. Car derrière une pochette représentant 'Le radeau de la Méduse', tableau de Géricault, c'est une œuvre essentiellement unplugged qui nous est ici offerte.
Il est vrai que l'acoustique n'est pas une nouveauté pour le grand blanc, et que cet exercice convient parfaitement à la voix gorgée de feeling de Jack Russell et au jeu tout en finesse de Mark Kendall. Après une courte introduction instrumentale intitulée 'A Short Overture' (quand on vous dit qu'ils ont décidé de rester simple !), la ballade 'Mother's Eyes' est une démonstration de délicatesse sur laquelle les deux frontmen font preuve de leur talent à transmettre des émotions aussi simples que profondes. A quelques rares exceptions, la douceur est de mise sur la plus grande partie de ce "Sail Away", Great White multipliant les ballades sous différents formats mais toujours avec réussite. Difficile de ne pas être touché par la mélancolie d'un 'Alone' ou par un 'Gone With The Wind' dont le feeling suinte de chaque note de la guitare de Mark Kendall. Ce dernier n'est pas sans rappeler Gary Moore et alterne ses soli avec ceux de Clarence Clemons (Bruce Springsteen) dont le saxophone s'invite sur les trois derniers titres de cet opus.
Au milieu de cet océan de quiétude, Great White glisse quelques éléments évitant que l'attention ne se détache. Que cela soit avec le boogie dynamique de 'Momma Don't Stop', la bonne humeur contagieuse de 'All Right' ou sur un titre éponyme utilisant quelques percussions pour bercer l'auditeur au rythme de la houle, Kendall & Cie réussissent à rester accrocheurs tout en prouvant que le talent ne se mesure pas à l'aune de la puissance en décibels. Et c'est sur l'exercice récurrent de la reprise, avec le 'If I Ever Saw A Good Thing' de Tony Joe White, que prend fin un voyage sur des eaux calmes et sereines mais non dénuées de véritables émotions.
En choisissant le format acoustique, les Américains se ferment les portes d'un succès commercial, mais ils prouvent une nouvelle fois leur authenticité et leur talent. Bien sûr, "Sail Away" n'a rien d'un album incontournable en soi. Il n'en est pas moins un élément indispensable pour qui souhaite connaître réellement une formation qui préfère privilégier l'honnêteté à des velléités mercantiles auxquelles ses qualités pourraient pourtant la faire accéder sans difficulté.