Quella Vecchia Locanda fait partie de ces groupes italiens qui créèrent au début des années 70 une branche à part du rock progressif, reprise sous l'acronyme RPI (rock progressif italien), et dont les noms aussi longs qu'improbables, tels Prematia Forneria Marconi, Banco del Mutuo Soccorso et autres Il Balletto di Bronzo, respirent le soleil. Une branche dont les caractéristiques principales sont l'art des mélodies délicates et raffinées et le rôle important donné aux claviers, les rapprochant des groupes dont ils sont les émules (Genesis, Van der Graaf Generator, Emerson, Lake & Palmer). La présence fréquente d'instruments acoustiques, flûtes, violons, clarinettes en tête, et le chant italien plus ou moins théâtral finissent de définir les contours d'un style spécifique à la péninsule italienne.
Il serait néanmoins réducteur de penser que l'école italienne a formaté tous les groupes qui en sont issus dans le même moule. Le courant est riche d'une population qui, si elle puise aux mêmes sources d'inspiration, a su se diversifier tout en conservant ses spécificités stylistiques. Ainsi Quella Vecchia Locanda est moins symphonique qu'un PFM mais plus acoustique qu'un Le Orme (très porté sur les orgues, moog et mellotron en bon élève d'ELP), pour ne citer que les plus célèbres.
Le groupe, qui tient son nom du lieu où il répétait à ses débuts, une vieille auberge abandonnée, sort son premier album éponyme en 1972. Un disque d'une durée courte (35 minutes), mais normale pour l'époque, vinyle oblige, constitué de huit titres dépassant rarement, et de peu, les cinq minutes. Pourtant, cette brièveté n'empêche pas Quella Vecchia Locanda de caser de nombreux changements de thèmes, la palme revenant à 'Immagini Sfuocate' qui en 2'57" réussit le tour de force d'introduire six variations. C'est à la fois un exploit et un travers, la brièveté de chaque thème ne permettant pas les longues expositions chères au rock progressif, et l'on se prend à regretter parfois que certaines mélodies n'aient pas bénéficié d'une plus grande générosité.
Si l'album peut s'écouter comme une longue suite, l'absence de structure couplet/refrain au sein des morceaux et la tonalité générale dominée par les instruments acoustiques y invitant l'auditeur, il souffre d'un petit côté décousu et parfois inégal. Certains titres ont mal vieilli, nimbés d'un futurisme kitsch à la sauce 70's ('Immagini Sfuocate'). D'autres s'inspirent tellement de Jethro Tull et du jeu de flûte de son leader qu'on balance entre plaisir et agacement ('Un Villaggio, Un'Illusione', 'Il Cieco'). Le violon, très présent, est parfois un peu grinçant (la faute à des moyens d'enregistrement rudimentaires ?) et les gammes vivaldiennes paraissent désuètes. Enfin, le chant de Giorgio Giorgi n'est pas exceptionnel, plus à l'aise toutefois dans la douceur mélancolique que dans ses tentatives de passage en force.
Fort heureusement ces péchés à la fois de jeunesse et dus à l'âge sont mineurs. L'album laisse place à de belles plages musicales où le piano, le violon et la flûte se taillent la part du lion, même si les guitares, la clarinette et les claviers électriques ne sont pas totalement absents. 'Prologo' qui ouvre le bal est un catalogue dynamique du savoir-faire du groupe, 'Realtà' est une ballade romantique qui glisse facilement même si elle tutoie parfois la mièvrerie, la clarinette de 'Dialogo' lui donne un petit air jazzy et le duo 'Verso La Locanda/Sogno, Risveglio E...' qui clôt l'album justifie à lui seul son achat, offrant un final somptueux sur lequel le groupe réalise son rapprochement de musiques classiques et progressives, dominées par un piano expressif rappelant Keith Emerson le temps d'une volée de notes, une flûte qui ne doit plus rien à Jethro Tull et un violon brodant un Vivaldi cette fois convaincant avant de dériver vers un horizon plus contemporain.
"Quella Vecchia Locanda" est indéniablement old school et très typé 70's. Mais le raffinement de ses mélodies et la limpidité de leur exécution en fait un vrai régal pour les amateurs de sonorités acoustiques.