Caldera est un groupe exigeant. C'est l'une de ses (très) nombreuses qualités mais aussi, d'une certaine manière, une de ses (rares) faiblesses en cela qu'il élabore chacune de ses créations comme une œuvre d'art total, autant dans le fond que dans la forme, où tout est pensé dans ses moindres détails, un peu à la manière d'une toile de maître. Même un EP, objet d'ordinaire emballé à la va-vite chez beaucoup d'autres, revêt chez lui une importance au moins égale à celle de ses "vrais" albums.
Or, un petit (par la renommée, s'entend) peut-il vraiment se payer un tel luxe, de surcroît pour un format mal-aimé que les labels ne se battent pas pour publier même quand il est le fait de combos réputés ? Nous répondrons par la négative, ce que les Français ont réalisé et vécu à leurs dépens, collectionnant les embûches afin d'aller au bout de cette aventure nommée "Centralia", offrande que nous n'espérions plus vraiment, capturée depuis longtemps maintenant et qui doit de ne pas avoir finalement été avortée à la seule volonté de ses géniteurs.
A son écoute, on ne peut que féliciter Caldera de ne pas avoir abandonné car c'eut été alors un formidable gâchis tant cet opus, plus que la simple addition de quelques titres, deux en l'occurrence (nous y reviendrons), se veut au contraire une pierre supplémentaire d'un édifice qui se construit peu à peu, un édifice dont les racines purement Stoner tendent à s'estomper au profit d'un socle viscéralement instrumental beaucoup plus doom voire audacieux, sinon expérimental.
Comme "Mithra" reprenait les choses là où les avait laissées "Mist Through Your Consciousness", "Centralia" s'inscrit dans le sillage de son devancier, tissant avec lui des liens évidents : même architecture démesurée, mêmes ambiances terreuses et désespérées à la fois. Le gros morceau (dans tous les sens du terme) de cet opus réside dans son titre éponyme, long de plus de 13 minutes. D'une trompeuse simplicité en cela qu'elle semble tout d'abord s'étirer pour rien, donnant l'impression que peu de choses s'y passent, cette pièce se révèle au contraire un vrai bijou de construction et de progression, lente dérive quasi immobile symbole de cette ville américaine de Centralia rongée par un feu éternel.
Le rythme du morceau épouse cette espèce d'inexorabilité, derelict mortifère s'abîmant dans les entrailles de la terre. Il y a du Abandon pour cette manière de dilater une trame à l'infini. Mais loin d'être répétitive, celle-ci bourgeonne au contraire de mille détails qui ne surgissent que par petites touches pointillistes. Se coulant avec intelligence dans la fosse creusée par le titre éponyme, la reprise du 'Garden Of Love' d'Amber Asylum s'impose naturellement, alors que ce choix était à priori surprenant sinon casse-gueule. C'était sans compter sur l'inspiration du groupe qui a su s'approprier ce morceau pour en faire œuvre personnelle, et finalement donner l'impression qu'il s'agit d'une composition originale, plainte belle à pleurer aux confins d'un Doom sentencieux.
"Centralia" illustre plus que jamais le gouffre séparant le Caldera d'aujourd'hui de celui qu'il fut à ses débuts. Comment sera-il dans dix ans ou même dans cinq ans ? On ne le sait. On peut cependant imaginer dans quelle direction, noire comme le désespoir, le groupe devrait s'enfoncer...