Si Anekdoten n’est pas la plus prolifique des formations suédoises de rock progressif, des six albums écrits en vingt-deux ans ce "Until All The Ghosts Are Gone" est celui qui aura le plus mis la patience des auditeurs à contribution. Certes, dans l’intervalle de ces huit années, quelques rééditions ont été appréciées, mais ce n’est pas la compilation "Chapters" sortie en 2009 qui rassasia les appétits. En réaction au travail d’improvisation pure que Nicklas Barker a dédié ces quatre dernières années à son projet My Brother The Wind, le compositeur a pris le temps de mûrir les six nouvelles pièces d’Anekdoten puisque les sessions d’enregistrement de "Until All The Ghosts Are Gone" ont débuté en mai 2013. Avec la tendance actuelle au renouveau des sonorités 70’s, on peut dire que ce retour est déjà gagnant pour ce groupe pourvoyeur d’un rock progressif d’un autre siècle, parfois qualifié de passéiste.
Si par son titre et son iconographie "Until All The Ghosts Are Gone" ne bouscule pas la tradition et reste dans la symbolique coutumière d’Anekdoten, le contenu musical opère une relative fracture par rapport aux grandes orientations des précédents disques. C’est tout d’abord une entame par le sublime morceau inaugural ‘Shooting Star’ qui remet au goût du jour une création étirée, absente dans les deux dernières productions, portée par une inspiration vintage plus proche des derniers Opeth que de King Crimson, et la présence aux claviers de Per Wiberg n’y est pas étrangère. Le déroulé est parfaitement emmené par les exécutions techniques d’une grande justesse et se caractérise par une profonde recherche mélodique. Sans être un summum d’exaltation, ‘Shooting Star’ donne le ton d’un album qui saura toucher par sa mélancolie sans verser dans la noirceur ni la tristesse. Les sept minutes suivantes de ‘Get Out Alive’ sont particulièrement généreuses dans l’expression émotionnelle, avec ses envolées de guitares frippiennes éthérées, ses superbes modulations vocales et ses refrains déchirants de sensibilité rappelant Radiohead.
"Until All The Ghosts Are Gone" joue principalement sur l’amplitude des atmosphères, en se dépouillant de la complexité qui pouvait parfois peser sur l’efficacité des compositions, et abandonne la dissonance au profit de la stricte logique mélodique. Si "Gravity" et "A Time Of Day" étaient déjà porteurs de la tentation pop des Suédois, "Until All The Ghosts Are Gone" investit largement cette disposition dans une variante progressive et pastorale proche d’Anglagard, Landberk et du travail solo de Steven Wilson. Orchestrés par une formation qui a trouvé son plus haut degré d’harmonie et d’équilibre, les trois promenades forestières ‘If I All Comes Down To You’, ‘Writing On The Wall’ et ‘Until All The Ghosts Are Gone’ expriment avec une grande ampleur cette couleur folk et romantique. La primauté des claviers, qui ont toujours estampillé le son des scandinaves (mellotron, orgues et pianos Rhodes), est ici contestée par la diversité des instruments, plus spécifiquement la basse, les guitares et les flûtes de Theo Travis. Et quand retentit le final instrumental ‘Our Days Are Numbered’, qui effectue un retour vers une modalité plus heavy, c’est le saxophone luciférien de Gustav Nygren qui fixe la tension dramatique, interprète le rite païen, et guide l’ascension du morceau vers son intensité émotionnelle cathartique.
"Until All The Ghosts Are Gone" est probablement l’album le plus immédiat et le plus abordable du quartet et s’avère être, sans incarner totalement le spectre musical du groupe, une porte d’entrée idéale pour pénétrer l’univers si envoûtant d’Anekdoten. L’impression de clarté n’a jamais été aussi manifeste dans la construction des titres, la tonalité émotionnelle, et la production limpide qui offre un confort d’écoute et une immersion tout en fluidité, jusqu’aux messages véhiculés par les textes de Jan Erik Liljeström, empreints de positivité et de spiritualité. Avec ces six magnifiques compositions en totale cohérence, Anekdoten a bâti une œuvre marquante qui invite à l’introspection et à l’enchantement.