Dans la série des groupes réduits à leur seul géniteur, Music Waves vous présente The Nerve Institute, fruit du multi-instrumentiste américain Mike Judge qui nous propose sa deuxième galette intitulée "Fictions". Celle-ci semble en fait être un réenregistrement d'un tout premier album publié en 2010 au titre de Sinthome.
Adepte du Do It Yourself, Mike Judge s'occupe absolument de tout (chant, instruments, enregistrement, production), invitant toutefois le "décidément très demandé actuellement" Jacob Holm Lupo à venir l'accompagner à la guitare sur un titre. Et autant l'avouer tout de suite, le résultat est tout bonnement bluffant. Hormis les réserves sur sa voix peu travaillée, parfois limite en justesse et qui, en outre, subit des effets pas toujours très judicieux (cf 'Grimoire' et cet écho insupportable), la qualité d'interprétation et de réalisation est remarquable, avec une mention spéciale pour les lignes de basse qui méritent à elles seules une écoute particulière de l'album.
Pour ce qui est du contenu musical de ces 10 pièces, Mike Judge nous propose un voyage au sein d'une profusion de styles couvrant un large spectre de ce que l'on retrouve aujourd'hui sous le vocable de rock progressif, passant sans vergogne de l'un à l'autre. On retrouvera ainsi pêle-mêle des résonances psychédéliques ('The Confidence-Man'), un titre que n'aurait pas dénié Porcupine Tree ('Whistling Wire'), beaucoup de jazz-prog, pas mal de séquences avant-gardistes/expérimentales tournant façon Zappa ou King Crimson, des rythmiques impaires ('Knives of Summer'), du prog 70's évoquant The Tangent ('Grimoire'), mais aussi du flamenco accompagné par des rythmiques ethniques ('Knives of Summer' encore) ou un tango là encore bricolé à la sauce progressive ('Abrazo I Caminando').
Après un tel inventaire à la Prévert, l'aficionado de progressif complexe et varié ne pourrait qu'avoir la salive aux lèvres, frétillant à l'idée de se laisser entraîner dans une valse endiablée de thèmes enchevêtrés, rythmiques impaires et autres digressions propres à ravir ses neurones en attente d'être titillés. Hélas, l'assemblage de tous ces ingrédients se révèle régulièrement maladroit : au-delà d'un titre comme 'Rayuela' à la mélodie insipide tournant en rond sans queue ni tête, les enchaînements entre tous ces styles se font parfois en sautant du coq à l'âne, sans que l'auditeur (ou du moins votre serviteur en l'occurrence) ne parvienne à trouver la clé permettant d'en comprendre la cohérence.
De même, lors des parties chantées, et à l'image de 'City of Narrows', certains refrains se révèlent aussi quelconques que les couplets qui précèdent peuvent être brillants, offrant alors un contraste saisissant avec les parties instrumentales parfois proches de l'improvisation qui suivent en général ces séquences.
Au final, "Fictions" possède tous les ingrédients d'un grand disque de rock progressif au sens large du terme. Mais à trop vouloir varier les effets et faute de liant dans ses enchaînements, Mike Judge s'égare quelque peu en route. Il n'en reste pas moins un album de qualité, auquel il ne manque que peu de choses pour devenir une pièce de référence.