Avertissement. Décrire cette première échappée sinistre et nocturne de Stephen O’Malley sous l’étrange sobriquet de KTL semble totalement absurde, tant les sons qu’elle diffuse avec largesse pendant près d’une heure et quart se ressentent plus qu’ils ne s’analysent. Au moment de noircir ces quelques lignes, les mots apparaissent soudain vains, fades et inappropriés. Pour bien faire, il faudrait presque inventer un nouveau langage, une nouvel idiome pour évoquer les sentiments, le ressenti face à un tel monstre sonore.
Mais comme il faut bien en dire quelque chose, allons-y. Commençons par les présentations. Structuré autour du duo O’Malley / Peter Rehberg, KTL navigue dans la nébuleuse Sunn O))). De fait, tout est dit. Pour qui connaît le guitariste, illustrateur à ses heures perdues (en a-t-il vraiment ?), on peut être rassuré quant à la teneur expérimentale de la chose. L’homme fait partie de ces explorateurs du son, de ceux qui ne cessent jamais de travailler leur art.
En s’associant à Rehberg, O’Malley peut poursuivre les recherches sonores entamées avec son principal port d'attache. Il en conserve le squelette, qu’il prive de ses (déjà) minces atours métal qui les rattachaient au monde des humains. Seul 'Forestfloor', tétralogie qui en forme l’épicentre, qu’encadrent deux complaintes hallucinées, dans son quatrième segment, affiche des ambiances quasi black metal.
Furieusement organique, KTL érige de longues plages ambient que viennent fissurer des rush de guitares volcaniques, véritables murs bruitistes aux allures de blockhaus. C’est un maelström où s’enchevêtrent les effluves prolifératrices d’une gangrène sonore. D’une noirceur mille fois plus abyssale et vertigineuse que les étrons crachés par toutes ces hordes de black metalleux s’affichant en corpsepaint et bracelets à clous au fin fond d’une forêt, ces complaintes oppressantes et maladives grouillent de vibrations négatives, peinture apocalyptique qui confine à la transe hypnotique.
Gravé en juillet 2006, "KTL" a quelque chose d’un happening, d’un art total éphémère et introspectif qui ne peut s’apprécier que dans une solitude nocturne. Absurde et sans intérêt pour une majorité de personnes qui ne la comprendront pas (et c’est tant mieux !), n’y percevant que du bruit ; intellectuelle pour une poignée de bobos curieux qui font semblant de tripper dessus car Sunn O)))) est à la mode dans certains cercles, la musique forgée par le duo est en fait un peu tout cela à la fois : absurde, élitiste, mais surtout d’une effrayante beauté obscure. Un souffle terrifiant, comme échappé des entrailles de l’enfer, la traverse au point de ne pas pouvoir sortir indemne de ce qui ressemble à une plongée sans fin dans le néant.