Leviathan est bien le groupe de black metal américain le plus passionnant d’une chapelle qui a conquis ses galons de locomotive d'un mouvement au sein duquel elle a longtemps été considérée comme un parent pauvre. Car contrairement à son ami Malefic (Xasthur) qui s'est vite contenté de vomir une trame lancinante, morbide et répétitive à l’identique d’album en album, Wrest, lui, n’a pas hésité à se glisser dans sa tenue d’explorateur et à partir à la conquête de terre vierge. Tout seul dans son laboratoire, il a toujours travaillé son art, utilisant le genre comme un sculpteur le fait avec de la glaise.
Une preuve ? "A Silhouette In Splinters", publié en 2005 par Profound Lore Records avant que Moribund ne lui offre une seconde vie trois ans plus tard. S’il n’est pas la porte d’entrée la plus évidente à l’univers de Leviathan, cet opus n’en demeure probablement pas moins une des pierres angulaires de la féconde discographie de l’Américain. Peu évident car parler de black metal pour le qualifier semble presque absurde à l’écoute de ses six longues pistes lugubres dont le socle instrumental est parfois fissuré par la prononciation sentencieuse de bribes de paroles ('Particular Dis-ease', 'A Silhouette In Splinters').
Wrest délivre en fait un voyage introspectif aux confins de l’ambient, une bande-son hypnotique cent fois plus oppressante, cent fois plus evil que bien des hosties crachées par des hordes de goules grimées comme des pandas et se sentant obligées de poser dans la neige nocturne. "A Silhouette In Splinters" est une masse inquiétante de sons, de bruits, d’émanations négatives propice à une dérive brumeuse dans les arcanes de l’âme.
Avec une économie d’effets admirable, l'homme parvient à ériger des paysages noirs et sinistres, d’une beauté néanmoins contemplative et ténébreuse, paysages à l’intérieur desquels il propulse l’auditeur qui se retrouve bien vite prisonnier de cette toile aux ramifications abyssales. Ces complaintes sont de véritables abîmes, des fosses des Mariannes sans fin, des trous noirs qu’aucune lumière ne vient jamais caresser de leur chaleur.
Inutile de se lancer dans la description fastidieuse de cet album tant les six pistes qu’il agglomère forment un tout finalement indivisible qu’il est préférable d’appréhender dans la globalité plutôt que par miettes. Parler de chansons est tout aussi absurde, ces titres sont les différentes stations d’un chemin de croix sonore qui se rapproche davantage de la bande originale de notre propre mort que d’un simple disque de black metal.