En tirant sa révérence sur un album aussi inattendu que "Self Preserved While The Bodies Float Up" Oceansize ne pouvait que laisser un goût amer. L’éclatement du groupe et la parenthèse British Theatre de son leader, sorte d’introspection electro-pop, ne vint pas totalement récompenser les attentes des amateurs du groupe de Manchester. Parallèlement, l’épanouissement de Mike Vennart au sein de Biffy Clyro en tant que deuxième guitariste pour les concerts dès 2011 et dans l’album "Opposites" en 2013 donna des indices sur les orientations musicales de l’Anglais. Cinq ans après la dissolution d’Oceansize c’est sous son nom que Mike Vennart refait surface avec un "The Demon Joke" distribué par Superball et regroupant deux compagnons de route de la glorieuse formation, Steve Durose et Richard 'Gambler' Ingram.

Ne laissons pas le doute s’installer en confirmant d’emblée que cet album est bien l’album de Mike Vennart et non le retour d’Oceansize. Côtoyer d’aussi près le trio détonant de Biffy Clyro, qui est certainement l’un des meilleurs groupes du genre, a consolidé la direction alternative que Mike Vennart emprunte avec "The Demon Joke". D’ailleurs les idées initiales de l’album ont été écrites pendant une des tournées mondiales de Biffy. L’expérience écossaise lui a aussi donné l’occasion de développer encore plus la concision de son écriture et d’adapter ses talents de compositeur et d’arrangeur à l’exigence d’efficacité bien particulière des formats ramassés de ce genre musical.

L’écoute de chacune de dix compositions de "The Demon Joke" est une expérience renouvelée de créativité fondée sur de grandes variations rythmiques, des idées très mélodiques et des contenus évolutifs en intensité (les finals de ‘Infatuate’ et ‘Amends’). Partant de cette base Vennart s’amuse à créer de forts contrastes à travers des finitions paradoxales et des cohabitations discordantes. En digne héritier de Cardiacs, Vennart colore sa musique de fantaisie, se laisse tenter par le mélange de la finesse des cordes et des sons farfelus de claviers (‘Rebirthmark’) et autorise que la douceur d’une ballade pop cotonneuse dégénère en chaos bruitiste (‘255’). C’est cette influence revendiquée qui transparaît dans le titre ‘Doubt’ dont quelques ersatz d’Oceansize demeurent dans la manière de jumeler chants mélodieux, textures de claviers et épaisses couches de guitares (‘Infatuate’ et ‘A Weight In The Hollow).

La heavy ‘Doubt’ et la groovy ‘Retaliate’ (sorte de croisement entre Biffy Clyro et Amplifier) reflètent la tonalité vintage et psychédélique qui domine l’album, largement imprimée par les sonorités de guitare fuzz que Vennart a extraites de sa pédale d’effet signature. Pour peaufiner son travail il applique ses qualités de chanteur. Et sur ce point "The Demon Joke" lui offre l’opportunité d’être un vecteur d’émotion et d’exploiter sa maîtrise des harmonies dans de magnifiques chœurs de refrain avec Steve Durose (‘Operate’ et ‘Duke Fame’). Les interprétations sont remarquables particulièrement dans les moments de sensibilités éthérées (‘A Weight In The Hollow’) ou dans la mélancolique ‘Don’t Forget The Joker’ qu’il porte seul de bout en bout.

Le style musical de "The Demon Joke" est assez éloigné de celui d’Oceansize mais en reconstituant son noyau originel Mike Vennart retrouve l’effervescence et la fertile complicité. Tout ce qu’on attend du rock alternatif se retrouve dans ce disque riche et réussi : l’approche facilitée par la construction balisée du genre et l’originalité pourvue par le fort degré de variété et de finitions. En ce sens, "The Demon Joke" est un album qu’il faut laisser infuser pour qu’il libère toutes ses saveurs et subtilités.