Les véritables artistes se reconnaissent à ce qu'ils parviennent à créer un univers qui leur est propre et qui, même s'ils n'inventent rien, digèrent les influences pour aboutir à une œuvre originale. C'est ce tour de force que réalise, dès son premier album, le duo français qui porte le nom d'Omrade. Même si les références revendiquées sont Ulver, Manes, Gazpacho ou encore God Is An Astronaut, le metal avant-gardiste atmosphérique de ce tandem gomme les frontières
musicales et se moque avec insolence des étiquettes et des musiques formatées.
"Edari" constitue une suite relativement cohérente de morceaux plutôt atmosphériques baignés dans une ambiance électronique d'une étrange noirceur. La tonalité est dans l'ensemble assez dépressive ou inquiétante selon les passages. Arsenic et Bargnatt XIi, pseudos des deux membres de Omrade, savent nous plonger dans une ambiance mystérieuse à grands renforts de nappes électro, d'enchainements rythmiques mais aussi d'une utilisation originale, créative et variée du chant. Ils se sont adjoint les services d'autres musiciens dont on ignore tout mais qui ont su intégrer le concept de fort belle manière. C'est le cas par exemple du saxophone qui confère à certains passages ('Motsögn', 'Satellite And Narrow') un aspect effrayant et fantomatique. Les voix sont tour à tour caverneuses, aériennes, gutturales, d'outre-tombe ('Aben Dor'), popisantes, apaisantes ou simplement métal. Ce sont essentiellement des organes masculins qui officient sauf sur certaines mélodies gothiques aérées où une voix féminine apporte douceur et instants oniriques. Le choix est fait en fonction de l'atmosphère voulue, le chant étant souvent en retrait et utilisé comme tout autre instrument, avec du caractère et de l'expressivité.
Ce qui impressionne surtout, c'est la capacité à emprunter à tous les styles pour mener dans les plus grandes profondeurs une œuvre à la fois complexe et très abordable. 'Luxurious Agony' reste le titre le plus facile d'accès avec son chant majoritairement pop, ses touches discrètes et mélodiques de clavier et sa rythmique très classique. 'Aben Dor' est le plus angoissant tant il donne le sentiment de déambuler dans un cimetière gorgé de zombies et de vampires en tout genre. 'Friendly Herpes' se développe dans un style électro-pop atmosphérique assez simple. 'Otta Sen' lorgne du côté du Moyen-Orient, apportant une nouvelle couleur qui permet de clore le disque en beauté. Derrière cet ensemble qui pourrait partir en tous sens, il y a une construction parfaitement contenue et maîtrisée qui ne laisse pas de place au hasard malgré les dissonances, l'éclectisme et une certaine grandiloquence.
Avec une production très soignée et un sens très aiguisé pour les arrangements, Omrade frappe un grand coup avec "Edari". Ce duo-là sait ce qu'il veut et comment y parvenir. Ils se donnent les moyens de faire le mieux possible, ce qui aboutit à un album fort, délivrant avec fierté et beaucoup de savoir-faire une musique qui ne peut laisser indifférent.