Si sa légende est désormais immortelle, il n'en va pas de même du bonhomme, et les derniers mois sont tristement venus nous le rappeler. En effet, la santé de Lemmy Kilmister qui paraissait inaltérable depuis des décennies, a commencé à donner des signes de faiblesses. Le précédent album ("Aftershock" – 2013) ne laissait rien paraître, mais entre les annulations, les interruptions et les prestations inquiétantes, le dernier Hellfest en tête, les derniers concerts n'ont pas manqué d'alarmer quant à la condition physique de la légende encore vivante. Autant dire que l'ambiance était particulièrement fébrile dans l'attente de ce "Bad Magic", 22ème album de Motörhead fêtant les 40 ans de carrière du groupe. A nouveau produit par Cameron Webb, le nouvel opus a vu le trio enregistrer en condition live, ayant exceptionnellement composé tous les titres avant d'entrer en studio. Voilà au moins un point positif découlant des conséquences de la santé chancelante de Lemmy.
Pourtant, ne cherchez pas le moindre signe de faiblesse parmi les 13 titres proposés sur cette nouvelle livraison. Malin celui qui pourrait deviner quoi que ce soit à l'écoute des multiples rafales dont les Britanniques nous arrosent avec ce savoir-faire inimitable. Lancé a cappella par le maître des lieux, 'Victory Or Death' plonge directement dans le bain sans échauffement préalable. Brûlot rapide, cinglant et à l'efficacité immédiate, il lance la machine à un rythme d'enfer qui ne ralentira qu'à l'occasion de la ballade 'Till The End', véritable confession et profession de foi: le rock'n'roll jusqu'à la fin ! La batterie de Mickey Dee est toujours aussi impressionnante, Phil Campbell multiplie les soli incendiaires et Lemmy semble péter le feu. Son chant est varié, parfois diabolique ('Evil Eye'), mélancolique et émouvant ('Till The End'), machiavélique ('Choking On Your Screams' et ses accents à la 'Orgasmatron'), voire inquiétant ('When The Sky Comes Looking For You'). Quant à sa Rickenbacker, elle écrase tout sur son passage, lançant le solo doublé d'un Burn au chant sur le heavy hard blues typique mais imparable de 'Fire Storm Hotel', propulsant le riff sur plusieurs titres ('Evil Eye', 'Tell Me Who To Kill'), ou balançant quelques belles saillies ('When The Sky Comes Looking For You').
Un ensemble sans aucune défaillance donc, mais avec également peu de surprises, ce qui n'a jamais réellement fait partie de la marque de fabrique du groupe. L'alternance du riff alambiqué et du refrain direct de 'Shoot Out All Of Your Lights', le solo de Brian May (Queen) sur le rutilant 'The Devil', l'étonnant final de 'Teach Them How To Bleed', ou la reprise du 'Sympathy For The Devil' des Rolling Stones que Lemmy et sa bande s'approprient avec classe sans le défigurer, seront les seules véritables raisons de s'étonner. Mais est-ce bien ce que l'on demande à Motörhead ? Bien sûr que non ! Ce que chaque amateur du monument et de son leader attend lorsqu'il lance l'écoute d'un nouvel opus, ce sont des titres directs et sans fioriture, flirtant avec le punk ('Electricity', implacable single), déchirant les chairs avec du gros calibre ('Tell Me Who To Kill'), ou plongeant l'auditeur dans une ambiance lourde et sombre ('Choking On Your Screams', 'When The Sky Comes Looking For You'). Une fois de plus, il ne sera pas déçu et trouvera largement de quoi se repaître avec "Bad Magic".
Voici donc un nouvel album proposant une formule sans surprise mais servie avec toujours autant de talent et d'authenticité. "Bad Magic", c'est du Motörhead garanti pur jus, mais maniant la recette d'origine de manière à la garder addictive sans la dénaturer. Sans rien révolutionner, ces 13 nouveaux titres n'en sont pas moins rassurants quant à la santé artistique de cette formation légendaire qui nous offre ici un de ses meilleurs opus.