Dans la biographie de Frank Zappa, 1971 est une année à marquer d'une pierre noire. Son film ''200 Motels'' (au casting duquel sont crédités avec les Mothers, les batteurs Ringo Starr et Keith Moon) difficilement compréhensible, a été un four, le matériel du groupe a brûlé lors d'un concert en Suisse (cet accident inspirera la chanson 'Smoke On The Water' de Deep Purple), un spectateur excité du nom de Trevor Charles Howell a fait tomber notre sympathique moustachu de scène avec comme conséquence de multiples fractures, des contusions et un larynx écrasé qui modifiera à jamais sa voix. Pire, son prochain film d'animation ''Billy The Mountain'', qui racontait les pérégrinations d'une chaîne de montagne, aidée de sa dulcinée, l'arbre Ethel, à travers les Etats-Unis, semble irréalisable, malgré son aspect métaphorique et critique évident. Mais Frank Zappa ne se complaît pas dans son malheur, et sans attendre d'être pleinement rétabli, va anticiper l'annonce évidente de l'échec de son projet en changeant de format, proposant un nouvel album live.
"Just Another Band From L.A." a été piloté par Frank Zappa directement de chez lui. La genèse de l'album repose sur un concert d'août 1971 à Los Angeles. Il contient, outre 'Billy The Mountain' qui occupe la première face, d'autres extraits de la soirée. Des réminiscences comme le légume crypté 'Call Any Vegetable', ou encore 'Dog Breath' et son solo de guitare wah-wah, plus hard pour l'occasion, y côtoient des originaux comme les charges au vitriol que sont 'Eddie, Are You Kiddin' ' (contre Edward Nalbandian, propriétaire du magasin pour vêtements Zachary All) ou le pornographique crescendo sur 'Magdalena'.
Mais c'est bel et bien la première piste qui fera office de monstre. Culminant à plus de vingt-quatre minutes, 'Billy The Mountain' se présente comme une parodie fleuve d'opéra-rock. La narration de l'histoire, impossible à comprendre pour un non-anglophile doit beaucoup à la gouaille de ses interprètes vocaux. Les deux anciens Turtles Flo and Eddie s'en donnent à cœur joie pour amuser l'auditeur et sont en phase avec cette histoire délirante que Frank Zappa présente tel un Monsieur Loyal. Plus parlées que chantées, leurs voix sont tantôt naïves (lorsqu'elles annoncent la naissance immaculée de Billy), tantôt braillardes (quand Billy présente à Ethel sa décision de partir en vacances), utilisant des références et autres private jokes (imitations de Dorothy Garland dans ''Le Magicien d'Oz''). Par ses thèmes identifiables (celui à la basse qui permet à la musique de progresser) et ses nombreux changements de rythme, passant de la ballade hippie (lorsque la Lincoln est écrasée par Billy heureux de toucher ses royalties), du hard rock (Studebaker Hoach) à la cacophonie sonore (pendant le coup de téléphone) ou à ses clins d'œil (le thème de 'The Tonight Show Starring Johnny Carson' lorsque la ville de New York est évoquée), la musique reste cependant en retrait et constitue peut-être le point faible de l'exercice, qui apparaît au final comme un sketch rythmé.
Cet album live peut s'écouter comme un témoignage de l'ambiance déjantée qui régnait sur scène avant l'accident de Frank Zappa. Les blagues de Flo et Eddie étaient cependant comptées, notre guitariste s'apprêtait déjà à faire un remaniement musical qui l'amènerait à retrouver la musique de manière plus viscérale. Un album qui peut être considéré comme une porte d'entrée dans le monde déjanté de Frank Zappa, mais nullement dans son univers musical.