Si le titre de l'album, "Lavoro d'Amor", pourrait laisser penser aux moins avertis qu'ils ont en main un surgeon de RPI, empressons-nous de les détromper. Roz Vitalis, dont c'est quand même le neuvième album, est un groupe qui nous vient de Russie et qui pratique plus l'art rock aventureux que le progressif symphonique.
Il est vrai que le combo utilise indifféremment l'anglais, l'allemand ou l'italien, entre autres idiomes, pour nommer ses albums, une manière comme une autre d'affirmer son originalité. Car Roz Vitalis aime sortir des sentiers battus et sa musique prend régulièrement des chemins de traverse dans lesquels l'auditeur peu habitué aux randonnées musicales aventureuses risque fort de se perdre. Entièrement instrumental, l'album ne passe donc jamais par la case couplet/refrain, chaque titre musardant autour d'un ou deux thèmes plus ou moins définis et ne s'interdisant jamais un brusque crochet pour emprunter un passage inattendu.
Mélangeant rock doux, folk, classique, new age, RIO, la variété est au rendez-vous, avec un résultat parfois inégal. Certes, s'agissant d'un album où la musique est avant tout un vecteur pour installer une atmosphère propre à inviter l'imagination de l'auditeur à se débrider, il n'est pas question ici de disserter sur les qualités mélodiques de chaque morceau, celles-ci restant à la discrétion de la subjectivité de chacun. Il est par contre permis de remarquer qu'après un début un peu laborieux, le groupe prend une vitesse de croisière et que les titres les plus intéressants se trouvent plutôt en fin d'album.
Ainsi 'The Acknowledgement Day' et 'Lavoro d'Amore', pas désagréables, manquent néanmoins de profondeur et sont un peu transparents. 'Unanticipated', improvisation (ou semblant l'être) digne d'une BO de film noir, le dansant 'Il Vento Ritorna' et 'There Are The Workers Of Iniquity Fallen', ressemblant aux travaux d'Isildur's Bane dans ce mélange diffus d'influences classiques, de free jazz et de progressif au sens très large, réussissent à créer une atmosphère, pour peu qu'on soit sensible à ce genre de musique. 'Need For Someone Else' est un peu mal foutu et ingrat et 'Ascencion Dream' tient des disques de relaxation.
Mais c'est avec 'Invisible Animals', 'Every Branch That Beareth Fruit' et 'What Are You Thinking About' que l'auditeur se voit réellement récompensé de sa persévérance et que le groupe se rapproche le plus du rock progressif stricto sensu. Nappes de claviers planantes, gimmicks de guitares inquiétants, ces titres laissent transparaître leurs influences floydiennes et de l'école berlinoise. 'Ending' clôt avec brio cet album, alliant des boucles à la Tangerine Dream à un thème de trompette à la Ennio Morricone.
La trompette est d'ailleurs l'un des éléments centraux de ce disque. Chacune de ses interventions enrichit les compositions d'une note sombre et vaguement inquiétante. La flûte est également très présente mais ses saillies sont moins essentielles et tendent même parfois à rendre le propos lénifiant. Le piano reste un peu trop sage et l'on regrette qu'il ne se laisse pas de temps à autre emporté par un mouvement fougueux. Quant à la batterie, elle est bien souvent étouffante, noyant les autres instruments dans ses roulements inopportuns. La faute à une production indigente, sans relief, inappropriée à ce genre musical qui nécessite au contraire que chaque instrument puisse clairement être distingué des autres.
Ce défaut de production et une inspiration inégale empêchent "Lavoro d'Amor" de prétendre à la postérité. Restent quelques titres fort sympathiques dont l'originalité nous change des musiques stéréotypées dont on nous rebat les oreilles.